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Bourguignon et plus récemment de M. Léon Félix. Beaucoup d’études intéressantes de M. BCuchor ont été réunies dans son recueil publié sous le titre : Souvenirs de la Grande Guerre 1914-1915. Enfin, pour contrôler la vérité documentaire des tableaux imaginés par les peintres, on a vu, au Pavillon de Marsan, l’Exposition de la Section photographique de l’Armée. Nous possédions ainsi, avant le Salon de 1918, des éléments suffisants pour imaginer en quoi les aspects nouveaux du champ de bataille, de l’action et de l’homme différent de ceux d’autrefois, le parti que l’Art peut en tirer, en un mot « ce que la guerre enseigne aux peintres. »


I. — LE TERRAIN

D’abord, sur le théâtre de la lutte ou son décor.- Il serait bien étrange qu’il n’eût pas été changé par les omnipotents engins de destruction récemment mis en œuvre, — et, en effet, il l’a été. Ce n’est plus le riche paysage d’autrefois, complexe et vivant, des anciens tableaux de bataille où les arbres élevaient paisiblement leurs dômes de feuillage au-dessus de la mêlée, où les moissons continuaient à croître autour des foulées du galop, où les boulets déchiraient çà et là les rideaux de verdure, mais sans les décrocher ni en joncher le sol : c’est une terre nue et aride, bouleversée, retournée, émiettée, par le pilonnage des « marmites, » couverte des débris de choses concassées, indiscernables, criblée d’entonnoirs, comme de fourmis géantes, un désert pêtré où rien ne croit, rien ne bouge, rien ne vit, — sauf parfois un arbuste miraculeusement préservé, qui fleurit et tremble au vent, un oiseau qui se pose, une fontaine qui continue à épancher ses eaux inutiles au milieu d’une zone de mort, objets devenus intangibles, tabou. Une invisible menace suspendue sur tout ce théâtre empêche une silhouette humaine de s’y aventurer : c’est le no man’s land.

Dans le ciel, de petits nuages artificiels, des flocons blancs qui parfois se rejoignent en une longue vapeur, çà et là, une lourde colonne de fumée violacée ou safran, debout et immuable comme un champignon charnu, — la fumée d’une explosion, et plus haut la flèche ailée des avions, le ventre doré du dirigeable ou la chenille de la « saucisse, » avec sa queue de petits ballonnets. Tout cela mobile, poussé par le vent ; mêlé aux nuages