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Je fais quelques pas sur la digue pour secouer la torpeur maligne emportée de mon somme interrompu. Avant d’aller m’étendre pour une nouvelle tentative de repos, je passe mon rêve au crible de la veille…


DANS UN MÊME CAMP

Décembre.

La guerre réalise un milieu moral d’une simplicité parfaite. Le Bien et le Mal, qui jadis s’entre-pénétraient, s’accouplaient pour d’équivoques métissages, ont d’un coup formé leur front, non moins strict que celui des armées. Le Bien se nomme effort pour vaincre, et tout acte se mesure à son utilité. Nos camarades qui vinrent à la guerre dans leur nouveauté de vingt ans. n’ont pas connu le long stage que nous dûmes traverser, instables boussoles souffrant parfois d’être désorientées, parfois enivrées de leur sensibilité mobile. Nul magnétisme d’état ne fixant alors de pôle décisif, chacun devait effeuiller à son tour les pétales de la rose des vents.

Dans cette enquête où nous nous suivions, c’était entre Baltis et moi un point d’accord que l’enchaînement d’idées le mieux ourdi ne valait pas une expérience de l’esprit sur des données vivantes. Plutôt que d’extraire de nos livres des arguments, nous aimions à nous proposer des hommes ; quand nous en trouvions d’exemplaires, nous nous informions de leurs méthodes pour en déduire des disciplines qui, fondées sur de très attentives préférences, prenaient lentement du poids. Il fallait pour cette battue un mot de ralliement, et déjà, lorsque deux altitudes nous faisaient hésiter, nous nous demandions : « Quelle est la plus française ? »

Or, voici que le hasard juxtapose sur la berge de l’Yser, et livre à notre inquisition deux parfaits modèles humains.


Quand il s’avance sous la voûte sifflante des trajectoires, vêtu de la capote bleue, l’abbé David fait grande figure de guerrier. A voir ses traits incisés et sa démarche allante, à entendre le timbre viril de son verbe, à toucher le métal de son regard, on le sent créé pour diriger les hommes. Il porte, empreinte sur soi, l’évidence du courage, non celui du soldat