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dirai-je même, quelque courage pour mourir dans ces conditions. La dépouille, que je fis transporter dans la cour, était celle d’un territorial de quarante ans. Sur lui, aucun papier significatif, ni dans le grenier aucun objet, si ce n’est une bouteille vide et débouchée, sentant l’alcool. Des hommes de son cantonnement m’apprirent seulement qu’il avait disparu depuis deux jours. Ils ne lui connaissaient aucun motif de désespoir, et restaient court.

— Pour moi, mon opinion est faite, et je n’hésite pas à l’affirmer : cet homme s’est tué par peur de la mort. »

Décidément, le commandant Clotaire a le paradoxe banal. Mais Baltis ne parut pas le remarquer, et répondit assez chaudement :

« Permettez-moi de n’en rien croire ; il s’est tué par peur de la souffrance, et peut-être par peur de la peur. Il faut une autre formation que la nôtre pour manier avec connaissance d’aussi terribles poids que la vie et la mort. L’instinct vital s’étiole au cœur des hommes modernes, spécialisés dans l’inconfort et le bien-être, la maladie et la santé, l’ennui et le plaisir, ces chétives valeurs. Il leur manque cette ardeur qui s’exalte dans le risque et suscite contre le danger une mobilisation de tout l’être comme celle qui décuple la force du barbare traqué. Votre territorial était excédé de porter des chevaux de frise aux avant-postes, de cheminer au fond des boyaux sinueux, les pieds au froid et la tête rentrée dans les épaules pour éviter les balles. En se donnant la mort, il fut beaucoup plus conséquent que vous ne le pensez. Et, n’était la crainte de l’enfer, ou celle de déchoir, d’autres peut-être agiraient ainsi.

— Par leur répugnance, répliqua le commandant, les témoins de la scène montraient qu’elle est peu propre à faire école. Puisque ce soldat désirait la mort, le bon sens voulait qu’il la cherchât où elle est présente et prompte en besogne, dans quelque action en plein jour, au lieu de choisir ce lieu sinistre.

— Vous tenez absolument à le faire échapper à la logique : c’est lui conférer gratuitement du génie. Tout me semble au contraire très platement explicable dans la fin de cet homme : il ne fuyait pas la vie, mais la guerre. Pour chercher une blessure mortelle sous le feu de l’ennemi, il aurait dû se faire violence ; tandis qu’il a cherché un cadre intime, relire, presque