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Quand il vint, ainsi équipé, à la guerre, il sut y trouver des valeurs, objets de son inlassable désir. Elle n’essaya pas de l’éblouir d’une mise en scène peu faite pour contenter celui qui sait l’allure des cavaliers maures surgissant à la crête des dunes, et celle des gens de pied que l’on croise sur les plateaux d’Asie. Elles lui épargna aussi des plaisirs d’amour-propre dont il se fût méfié, ayant savouré dans ses voyages un agir plus libre, un rendement plus net de l’effort. Depuis son arrivée au front, il n’avait cessé d’être une maille dans la chaîne, une force élémentaire dans la poussée, le capitaine de l’une des dix mille compagnies déployées indiscontinûment d’Alsace à la mer. « Le hasard a voulu me montrer la voie,  » disait-il. Exempt de chercher dans cette guerre ce qu’elle n’est point, il s’était tourné sans erreur vers les amples beautés qu’elle livre à ceux dont la ferveur n’est point asservie à une recette.


Et d’abord, il goûta la responsabilité qui le liait à ses deux cents soldats, le pouvoir absolu dans sa définition que son autorité lui conférait : car le capitaine est le chef présent, celui dont le corps s’expose et la voix sonne, celui vers lequel se tournent les yeux.

Bien des fois, dans l’air ébranlé par les détonations, strié par les balles, sur le sol tuméfié par les bombes et jonché de mourants, il avait connu la joie la plus haute qui puisse être donnée à un chef, une multiplication des facultés dans l’action, un sursaut de l’être rassemblé et docile, et cet étrange dédoublement qui, laissant libre l’esprit pour comprendre, la volonté pour décider, le corps pour agir, leur superpose encore un arbitrage, une jouissance, une souveraine emprise sur l’Instant.

Mais, plus profondément peut-être que les grands coups de gong du danger, avaient retenti en Baltis certains silences, certains moments de maîtrise solitaire au bord de la défaillance entrevue.

Décembre est lugubre en pays flamand : à deux heures l’on sent déjà survenir la nuit qui s’abat lentement sur la plaine noyée, désespérant les êtres. Pendant les dernières semaines de 1914, le régiment de Baltis ne cessa d’errer des tranchées aux lignes de soutien, des cantonnements aux parallèles d’attaque,