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Comment les vêtir, les loger, les chauffer, sans l’existence préalable des moyens de production des étoffes, des maisons, du combustible ? Une partie de la Russie, qui est pourtant un des greniers du globe, est en ce moment menacée de famine, parce que les théoriciens ennemis du capital sont au pouvoir.

Si l’ouvrier comprenait que l’outil dont il se sert pour effectuer sa tâche, la maison qu’il acquiert en versant un certain nombre d’annuités, les provisions de vivres ou de vêtements qu’il a réunies dans ses armoires sont du capital, il serait sans doute moins hostile à celui-ci. S’il réfléchissait que le risque de voir ces réserves détruites augmente en raison de leur nombre et de leur variété, il regarderait d’un autre œil les hommes qui ont consacré leur existence à les édifier. S’il se rendait compte qu’elles ne sont autre chose, que du travail emmagasiné, il respecterait ses chefs au lieu de leur être hostile.

Le capital, c’est l’ensemble des utilités qui existent à la surface du globe et qui ne sont pas immédiatement consommées. Les objets de consommation eux-mêmes, aussi longtemps qu’ils sont détenus par les marchands qui les gardent en attendant les demandes de leur clientèle, ou par les consommateurs qui les ont mis en réserve, sont du capital. Comment l’humanité se révolterait-elle contre les choses dont elle a le plus pressant besoin, sans lesquelles elle ne pourrait exister ? Pourquoi, dans un accès de fureur aveugle, détruirait-elle les sources mêmes de sa vie ? Plus il y aura de capitaux chez une nation et plus les individus qui la composent seront heureux, plus ils auront de facilités d’existence. On prétend parfois que l’évolution contemporaine tend à une concentration du capital dans un petit nombre de mains. Rien n’est plus faux. Quelques patrimoines, dans l’essor rapide de l’industrie moderne, ont pu, à de certains moments, grossir rapidement. Cela n’empêche pas que, dans l’ensemble, l’humanité est de mieux en mieux partagée. Les salaires des ouvriers vont en grandissant ; ils représentent déjà, pour beaucoup d’entre eux, un revenu annuel bien plus élevé que les arrérages de petits rentiers qui vivent, sur leurs vieux jours, des coupons de valeurs mobilières acquises par eux au prix de longues années de labeur et aussi de privations, que les ouvriers ne se sont guère imposées.

Il y a une sorte de contraste entre les deux existences. Le travailleur manuel a une vie relativement aisée jusqu’à la