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prétention de doubler son prix, en l’élevant au taux exorbitant de 190 francs la tonne. Même le charbon vendu et livré, elle prétendait le suivre jusqu’à sa transformation en fumée, pour interdire qu’il en allât un kilo à une usine quelconque qui pût être soupçonnée de travailler pour l’Entente. C’était, en somme, prétendre installer en Suisse, au mépris de la souveraineté, de l’indépendance helvétique, sous le pseudonyme de contrôle, l’autorité, et si le terme n’était absurde et contradictoire à l’idée même de souveraineté, la « sursouveraineté » allemande. La meilleure définition, ou la moins mauvaise, qu’on ait donnée de la souveraineté est à peu près celle-ci : Être souverain, c’est n’avoir pas de supérieur humain. A la tenir pour exacte, tant qu’il y aura une Allemagne qui se décrète elle-même et veut se mettre au-dessus de tout, il n’y aurait plus au monde un État souverain, puisque tout État aurait au-dessus de lui un supérieur humain, l’Allemand.

Le gouvernement de la Confédération, happé à la gorge par un agresseur qui lui demandait à la fois la bourse et la vie, se débattait comme il pouvait, quand le gouvernement français a décidé de faire, lui, ce qu’il pouvait pour l’aider à se dégager. Il a offert de fournir à la Suisse, sur les 160 000 tonnes qui sont mensuellement nécessaires à la consommation de ce pays, la différence entre le stock indispensable et les 75 000 tonnes qu’elle restitue à l’Allemagne sous forme d’énergie électrique; soit 85 000 tonnes par mois, et non à 190 francs, mais au prix fort inférieur de 150 francs la tonne. Le Conseil fédéral, et particulièrement, — un témoignage authentique nous en a été rapporté, — le président de la Confédération helvétique, M. Calonder, se sont montrés émus de cette offre d’un concours dont ils n’ignoraient pas quel sacrifice il nous eût imposé; et s’ils n’ont pas cru devoir l’accepter tout entier, ils en ont été moins à, l’étroit pour résister aux exigences les plus abusives de l’Allemagne, et en ont gardé ce qui pouvait du moins préserver la neutralité industrielle de la Suisse.

Nous enverrons aux usines qui travaillent pour nous de quoi les alimenter. Cette solution, favorable au total, n’a pas été acquise sans quelques incidents auxquels elle a failli demeurer accrochée. Mais, si nos justes susceptibilités ont risqué d’en être froissées, ils ont été de pure forme, et ils ne comptent plus. Le contrôle des charbons en Suisse doit être suisse; mais, quel qu’il soit, il ne s’exercera pas sur le charbon français, et nous ne serons pas glissés en tiers, aux dépens de notre dignité, dans les arrangements de l’Allemagne avec la