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sympathiques avec leur air joyeux et leurs braves yeux candides ; je les soupçonne fort du reste d’avoir chanté les rondes, elles aussi, et peut-être même de les avoir dansées. Les petites filles, avec une révérence, disent à la Reine : « Bonsoir, Majesté ! » Les petits soldats lilliputiens font au Roi le salut militaire en lui disant : « Bonsoir, Sire ! » Et ils partent, entonnant une chanson de roule, que l’on continue d’entendre en decrescendo, à mesure que s’éloignent les voitures qui les emportent.

— Maintenant, me dit la Reine, je vais vous recevoir dans ma maisonnette de bois.

Et je la suis, avec la dame d’honneur, dans une de ces cabanes démontables en planches de sapin qui, en moins de deux heures, peuvent être transportées d’un lieu à un autre comme les tentes des nomades. Entre des bosquets rabougris, que d’habitude le vent de la mer tourmente, c’est sur le sable qu’elle est posée cette fois, la cabane royale, et il y a tout autour une plate-bande de fleurs de printemps, maigres giroflées surtout, que l’on a réussi à faire pousser là à force de bonne volonté.

En dedans de la maisonnette, c’est un enchantement de simplicité distinguée, de coloris discret et raffiné ; elle est entièrement tendue de soies persanes bleues très légères, dont les grands dessins, rehaussés d’un peu de rose, représentent des portiques de mosquée. Comme meubles, rien qu’une table à écrire et des divans avec des coussins de nuances très claires aux dessins étranges, très simples aussi, mais jamais vus. J’étais sûr que le bleu dominerait dans le réduit intime de cette Reine, que, trop irrévérencieusement peut-être, quand je pense à elle, je désigne ainsi en moi-même : la Reine bleue. Et combien cela lui ressemble aussi, maintenant, hélas ! qu’elle n’a plus de palais, de se complaire dans cette cabane délicieuse, mais si modeste, plutôt que dans ces villas de hasard, meublées au goût de n’importe qui !

La porte est restée grande ouverte sur le jardin sablonneux, sur les arbustes d’essences marines, et là, quand je suis assis en face de Sa Majesté, l’honneur m’est accordé d’une longue causerie tranquille, dans le grand silence des entours, à l’ombre du toit frêle, avec le sentiment du chaud soleil de juin qui resplendit dehors. Comme par un accord tacite, nous ne disons rien des angoisses de l’heure, pas plus que si les Barbares