Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’exprimaient. Si je devais de façon sommaire enseigner plus tard l’art physiognomonique, je ne sais pas de procédé meilleur que de douer un sujet d’un masque léger de glaise que briserait à propos l’expression dont je ferais ma leçon. La guerre a ses enseignements qui ne s’y rapportent point, et c’est toujours autant d’appris.

La gaieté du soldat se nourrit de peu, mais elle fait aliment de tout. A mille mètres de Verdun, nous vîmes, le long de la voie, une maison modeste, éventrée d’un obus ; son perron était, pour moitié, jeté bas ; déchiquetés, les volets pendaient ; par les vitres apparaissait le dénudement d’un intérieur. « Ma maison ! » crie un homme ; et il se précipite. Il n’a nulle peine à y pénétrer, car, soutenue par un seul piton, la grille du jardinet bée et flotte au vent. « Le veinard, disent les hommes. En rempaillant sa baraque elle ferait encore un chouette gourbi. » La guerre nous a fait une mentalité, une philosophie à rebours. L’homme, quand nous l’avons revu, était en joie ; ses bras agités, les soubresauts de son ventre exprimaient une surprise hilarante. Tout était à terre dans sa maison, et, méthodiquement et minutieusement détruit. Il y avait là de quoi bien rire ; il n’aurait jamais cru son malheur si complet.

Nous étions une quarantaine d’hommes, Dudot, Buisson, avec moi. La section Noël, détachée depuis douze jours, ne devait nous retrouver qu’à Verdun. Ganot était parti la veille, me laissant aux soins de la relève et à la passation des consignes. A la porte de France nous fûmes rejoints par Laurent et le commandant Tisserand ; ils n’avaient point rencontré de fontaine, et les premiers soins rudimentaires de propreté n’avaient point, comme à nous, apposé sur leurs joues terreuses la marque de quatre doigts.

Nous avons fait halte à Verdun, dans un couvent de religieuses, délaissé de vingt jours, honteux d’être si sales près de linges si propres. Quand j’entrai dans la chambre où il reposait, Ganot ouvrit un œil qu’il referma sans mot dire. Léger nous présenta du kirsch ancien que je bus avec Gund ; il nous annonce une dinde, des alcools, une langouste fraîche, des vins ; il nous détaille le tout d’un air autorisé et gourmand. Léger est notre cuisinier ; il m’amuse souvent, même lorsqu’il s’embrouille dans mes comptes. Barbu comme on l’est mal,