Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/818

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


A F. BULOZ

« Maître Buloz, vous êtes crasseux, je vous l’ai toujours dit. Vous dites que vous m’enverrez peut-être des étrennes. Grand merci. Faites-moi penser à vous promettre quelque chose. Je veux vous faire honte. Mon garde champêtre va demain à la chasse pour vous, et s’il rapporte quelque chose, je vous l’enverrai avec un de ces animaux extraordinaires, rares, curieux que vous avez mangés chez nous, et dont la race a été rapportée de Madagascar par le célèbre naturaliste J. Néraud, c’est-à-dire un cochon de lait. Vous ne l’aimez pas, mais vous ne pouvez-vous dispenser de le montrer à vos amis et connaissances, comme la découverte la plus importante que vous ayez faite dans nos savanes. Vous pourrez le l’aire empailler et le mettre sur votre cheminée, et Margarita pourra alors être appelée Margarita ante porcos, sans vous compromettre. On dira ante Bulos, la rime y sera toujours. Fâchez-vous, ça m’est bien égal. Au reste, tout ce que j’en fais, c’est pour vous piquer d’émulation sur le chapitre des étrennes.

« Envoyez-moi des livres, non pas ces chefs-d’œuvre d’or et de soie, comme dit pompeusement votre chronique, mais du classique broché ; je voudrais Machiavel, tâchez de me le donner.

« J’ai reçu vos 1 000 francs et ils n’ont pas gelé le creux de ma main, ils ont été s’engloutir dans la poche de mon procureur, c’est-à-dire de l’homme noir qui me procure des ennuis, des dettes et des colères. Au reste, tout va bien. La réussite est devenue certaine par un incident heureux. Notre tribunal est si bête et si arriéré, qu’il fait consister la morale publique et le repos de la société à condamner à la plus touchante union des époux qui s’arrachent les yeux mutuellement. Leurs décisions sont toujours cassées à Bourges. Ces jours-ci un de leurs plus beaux arrêts vient d’obtenir en ce genre un soufflet qui a tellement humilié notre président, qu’il en est tombé malade. Dieu aidant, il en mourra, et ses confrères ne seront plus si hargneux. Je ne serai quitte de tout cela, au reste, que vers la fin de février. Ne vous occupez pas de la Gazette des Tribunaux. Son correspondant à Châteauroux est mon ami Rollinat, qui certes ne lui communiquera pas les matériaux ; si Le Droit a fantaisie d’en parler, vous le saurez bien. Je pense que vous n’êtes pas brouillé avec Lerminier ; d’ailleurs je le