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différents quartiers de Fez — ces portes qui, même maintenant, sont fermées tous les soirs, mais qui, malgré l’ordre donné, ne le furent pas le soir du massacre de 1912.

Tout ce quartier est muet, abandonné. Dans cette ville grouillante, personne ne semble plus vivre. Nous savons que, tout près, la vie tumultueuse des souks bouillonne et déborde ; mais autour de nous le silence est si complet que le « balek » jeté par notre guide aux tournants des ruelles se répercute longuement sous les voûtes des palais.

Nous dégringolons toujours vers le fond de l’étrange cratère de Fez Elbali ; mais pouvons-nous descendre plus bas encore ? La dernière ruelle que nous voyons au-delà du tunnel dans lequel nous nous sommes engagés parait vraiment trop étroite pour laisser passer nos montures. Et puis, tout au fond, elle est barrée par un mur ; nous avons l’impression d’être entrés dans un cul-de-sac au-delà duquel on ne peut pas passer. Mais qu’importe ? Puisque enfin notre guide s’arrête, et que voici quelques serviteurs qui se lèvent des bancs en pierre appuyés contre la muraille d’un palais. On prend mon étrier et je saute à terre.

Sur le seuil, un tout jeune homme au visage doux et intelligent s’avance parmi les serviteurs. Il nous tend la main, et dans un excellent français nous souhaite poliment la bienvenue : c’est un des fils cadets de la maison, dont l’éducation a été faite en Algérie. Nous le suivons à travers le couloir lambrissé de faïence qui se retourne en angle aigu, cachant du, dehors l’intérieur de l’habitation ; et nous nous trouvons dans un patio au clair dallage céramique, au milieu duquel gazouille et sautille l’inévitable fontaine.

Nous sommes chez un haut fonctionnaire du Makhzen. Sortant d’un appartement qui donne sur le patio, il fait quelques pas vers nous, et nous accueille en souriant. C’est un homme grand, déjà âgé, d’un fort embonpoint, noblement drapé, et enturbanné de gazes blanches et souples. Nous prenons place sur les divans qui entourent la pièce, une longue salle étroite qui n’a d’autres meubles que des divans et quelques tapis de Rabat. De l’autre côté de la cour se trouve un arc correspondant à celui qui donne accès à cette pièce. Un rideau en cotonnade blanche est suspendu dans l’ouverture de cet arc, et quelquefois un coin de ce rideau est soulevé, et des enfants