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Nous voici, le lendemain, à la porte du palais que nous voyions hier du haut de notre terrasse. C’est une grande demeure seigneuriale, dont nous avons longtemps longé les murs en pisé rouge avant d’arriver à l’entrée. Nous traversons la cohue des clients qui encombrent la place : riches personnages noblement drapés de mousseline blanche, dont des esclaves tiennent les mules blanches sellées de rose ; farouches guerriers de l’Atlas, ayant, sur chaque oreille, la boucle en tire-bouchon qui atteste les prouesses militaires ; négociants juifs, femmes du peuple guêtrées de cuir, apportant des poules ou du fromage, mendiants étalant leurs plaies et roulant leurs yeux aveugles dans des orbites sanguinolentes, enfin, des jeunes gens et des hommes d’allure guerrière flânant sous la voûte, et qui sont sans doute de la maison du grand chef.

Un personnage d’âge mur, enveloppé de mousselines immaculées, se montre sur le seuil, et toute la troupe s’incline : c’est le chambellan du Caïd, qui s’avance à notre rencontre. Nous le suivons le long des frais couloirs dallés, entre des murs révolus de mosaïques et bordés de bancs on pierre, où des mendiants psalmodient sur leurs nattes. Des ouvriers de Fez, agenouillés sur notre chemin, s’écartent pour nous laisser passer. Patiemment, ils sertissent les cubes brillants, bleus, verts et noirs, dans l’émail blanc des faïences ; car ce palais est tout neuf (comme beaucoup des belles demeures marocaines) et le Caïd, grand bâtisseur, et respectueux de la tradition, s’occupe à orner sa demeure des mosaïques de Fez, dont les ouvriers du Sud n’ont pas le secret.

Nous arrivons à une cour intérieure où l’eau bruit et des roses grimpantes enlacent un bosquet de cyprès. Ici, le Caïd nous attend. Il accueille avec un sourire amical mes compagnons, un officier français et sa jeune femme, qui sont des amis de longue date ; il m’adresse quelques paroles par l’intermédiaire de l’officier indigène qui nous accompagne ; puis nous traversons la cour pour gagner la pièce où nous devons goûter.

C’est toujours le même décor : la salle longue et étroite, dont les arcades s’ouvrent sur le patio de faïence : les matelas recouverts d’un banal coutil rayé, sur lesquels s’entassent les coussins housses de mousseline. A l’autre bout de la pièce, sur une estrade, un lit en cuivre imitant le « Louis XVI » canné, et surchargé d’ornements. Des bouquets de fleurs en cire sous