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finement senties, sur le style de Renan, dont il vient de citer une fort belle page :


Cela est d’un érudit, d’un philosophe, d’un poète. Cela est abstrait et concret à la fois, plein de choses et de charme. Ce style a je ne sais quoi tout ensemble de grave et de voluptueux, de rapide et de pénétrant, de vivant et de métaphysique, de personnel et d’universel, de savant et de naturel. Il a surtout quelque chose de pieux ; l’ironie s’y mêlera plus tard ; elle ne s’y glisse pas encore. Aussi l’a-t-on préféré quelquefois dans ses premiers essais à tout ce qu’il a fait depuis. Point de rhétorique non plus : une simplicité sereine et douce.

Si maintenant nous rassemblons tous ces traits, nous pourrons dire que le style de Renan offre quelque analogie avec celui de saint François de Sales


La comparaison est originale, et elle n’eût pas déplu à Renan lui-même. Brunetière, qui avait beaucoup d’idées et qui s’y tenait, avait aussi, au contact des textes, de ces vives intuitions littéraires, sans lesquelles il peut bien y avoir des historiens érudits et philosophes, mais non pas de critiques complets.


Tel est, bien sommairement feuilleté, cet ouvrage qui n’est assurément ni complet, — il y manque une conclusion[1], — ni parfait, et qui n’eût point satisfait son auteur, mais qu’on a tout de même bien fait de nous donner. Il n’est pas en dissonance avec nos préoccupations d’aujourd’hui. On y sent circuler un si noble goût de l’action, un si ardent amour pour les grandes œuvres du génie français, un sentiment si vif des dangers de l’individualisme, que ce livre, pensé et parlé il y a un quart de siècle, se raccorde sans effort avec nos pensées les plus constantes. « Peut-être, — écrit M. Cherel dans son Avant-propos, — peut-être est-il malaisé de dire avec exactitude de quelle manière la pensée de Brunetière eût reçu l’impression des événements actuels. » Non, cela n’est pas très malaisé. Il n’en eût d’abord pas été surpris. L’orateur des Discours de combat n’était pas dupe des illusions de l’idéologie humanitaire et, un an avant sa mort, il écrivait cet article sur

  1. Si l’on voulait cette conclusion, on n’aurait qu’à se reporter, pour la trouver, aux dernières pages du Manuel de l’histoire de la littérature française.