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semaines durant, il mène la vie de golf, tennis, courses en automobile ou en moto-boat, de thés et dîners-danses au club, de danses et de soupers-danses, qui est le courant à Newport et prend toutes les heures du jour. Il a toujours de multiples invitations, pour le moment des chasses, dans les Adirondacks. Mais, à l’entendre, c’est toujours avec le même plaisir qu’il retrouve, à l’automne, l’ambassade de style lourd de l’avenue Massachusetts et la vie et la villa de Washington. De la capitale il prétend aimer non seulement la société mais les monuments, le Capitole imposant, les rues et avenues larges, toutes plantées d’arbres aux essences rares et qui, à cette époque, joignent leurs feuillages en berceaux riches où se nuancent tous les ors ; il en aime, dit-il, l’aspect merveilleux de jardin, de parc émail le de cottages et de palais.

A peine de retour, il se reprend au travail. Et l’un de ses tout premiers soins est de recevoir les correspondants de journaux. Il est peu de diplomates qui aient été persuadés de l’action de la presse, qui aient travaillé à se servir du journal autant que le comte Bernstorff. S’il classe ses occupations, celle de se concilier la presse est certes au tout premier rang.

Il reçoit les correspondants presque à toute heure. C’est trop peu de dire que son accueil est cordial : il est familier. Si plusieurs journalistes se présentent ensemble, il les fait monter au premier étage de l’ambassade ; il veut les entretenir dans l’intimité de son salon de travail, pièce très vaste, aux tentures et aux lourds rideaux de soie rouge, meublée de fauteuils profonds de cuir sang de bœuf. La compagnie est-elle nombreuse ? L’ambassadeur la fait asseoir en demi-cercle, assis lui-même devant son bureau riche, carré, lourd, d’acajou massif, incrusté d’argent. N’a-t-il que peu de visiteurs ? Il se dirige vers la haute cheminée à foyer ouvert, qu’entoure une barrière basse de marbre blanc rembourrée de coussins de cuir rouge et sur laquelle il s’assied, un pied dans sa main. Il croise les bras, tapote son coude, ou bien porte la main à son nez qu’il semble ajguiser de ses doigts joints, d’un geste habituel. Il discute avec un feint abandon, veut paraître ignorant de tout et désireux de tout apprendre. Bien que lui-même boive peu, fume rarement, il a soin de faire circuler atout instant les cigares, les liqueurs. Il plaisante, rit haut et de tout le buste ; il interpelle chaque correspondant par son nom ; il rappelle à