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Thillois, battre Reims au Nord-Ouest, Thillois était récupéré le lendemain, et c’était un premier temps d’arrêt, un premier signe de reflux. Bien fugitif encore. Au 1er juin, le nouveau front, tout le monde l’a noté, se creusait en forme de poche, dont le bord était tenu à ses deux extrémités, à gauche par Soissons, et par Reims à droite. Comme fond, la Marne, sur une vingtaine, et peut-être, avec ses sinuosités, une trentaine de kilomètres, des lisières Nord-Est de Château-Thierry aux approches de Dormans. Entre Soissons et Reims, l’entrée du sac était étroite, et le haut commandement allemand, qui s’y était jeté tête basse, le sentait si bien que, d’un coup sec, il s’efforçait de l’élargir, entre l’Aisne et l’Oise, jusqu’à Varennes et Sempigny non loin de Noyon ; mais nos troupes, résolues à ne point laisser l’ennemi se donner de l’air, faisaient ferme sur les positions de Juvigny à Blérancourl. Le Kronprinz étirait alors ses longs bras et ses longues jambes, de l’autre côté de la rivière, par Chaudun et Vierzy, vers Villers-Cotterets, par Chouy et Neuilly-Saint-Front vers la Ferté-Milon. Maintenu au débouché de Soissons, puis rejeté sur la Crise, il n’aboutissait qu’à gonfler le sac, sans pouvoir le crever. Dans une reprise ultérieure, il finissait par se camper à cheval sur l’Ourcq et sur la voie ferrée qui l’accompagne, précisément à Chouy et à Neuilly-Saint-Front, mais nous opposions à son élan une barre Villers-Helon, Noroy, Priez, Monthiers, Etrépilly. Château-Thierry lui résistait. Il ne gagnait pas un pouce de terrain au Nord de Vierzy, il n’en a gagné qu’un au Sud-Ouest de Soissons. Toutefois, sur la rive gauche de l’Oise, nous avons dû reporter nos positions aux lisières Nord du bois de Carlepont, Sud de Noyon, tandis qu’entre l’Oise et l’Aisne, nous ramenions également notre ligne sur les hauteurs d’Audignicourt à Fontenoy.

Mais c’est tout justement cela, la bataille : un va-et-vient, une chose mouvante et flottante, un perpétuel devenir. Lorsqu’elle se fixe, elle fixe le destin. Tant qu’elle oscille, il se balance, il est, comme disaient les Anciens, sur les genoux des dieux. Il est dans le cœur et sur les bras des hommes. Nous avons foi en la vaillance des nôtres, dans les vertus de la race, dans la qualité même de ce sol privilégié. En regardant s’esquisser la poussée simultanée par l’Oise, par l’Ourcq et par la Marne, aucun Français ne peut sans émotion tourner ses yeux vers l’enceinte sacrée des forêts maternelles, à l’abri desquelles s’est lentement constitué le plus doux pays, le plus beau royaume qui ait vécu sous le ciel ; vers l’île sainte d’eaux claires et de frondaisons fraîches, vers le rempart touffu,