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en une maison de jeux, comme le fit, en 1814, le Prussien Blücher ; ils visitent assidûment les monuments et les institutions qui sont la gloire du Royaume : la Monnaie des médailles, Sèvres, les Gobelins, la Bibliothèque, — et je ne suis pas bien sûr que ces attractions soient comprises dans l’itinéraire de tous les provinciaux, nos contemporains ; — ils assistent aux leçons de l’École des sourds-muets qu’a fondée l’abbé de l’Epée, — surprenant miracle ! — et ne manquent pas d’aller, et de retourner, aux galeries du Muséum. Soit que l’Industrie s’agrémente pour eux du charme de la nouveauté, soit qu’ils professent pour leur époque une admiration telle que tout leur en semble aimable et attrayant, ils sont très friands des « manufactures, » consacrent de longues heures à celle des glaces au faubourg Saint-Antoine et aux fabriques de papiers peints, innovation en plein succès : on va beaucoup aussi à la raffinerie de sucre de Bercy et, dans le carnet d’impressions, on détaille toutes les opérations auxquelles on a assisté[1] Mme Cradock pousse plus loin la curiosité : elle s’introduit dans une fabrique de cire, afin de se rendre compte des procédés de fabrication des bougies et des chandelles, flairant les chaudrons où bouillonne la graisse de mouton et de sanglier, se penchant sur les bassines où refroidit la nauséabonde mixture[2]. Les usines de treillages en fil de laiton, de produits chimiques, les ateliers de tissage, voire les fabriques de conserves de fruits et de légumes, prodige tout récent d’un savant qui a su « fixer le printemps, » connaissent la même vogue : les Guides les signalent et les recommandent aux amateurs[3]. C’est à penser que tout le monde est studieux et prend intérêt aux « inventions. »

Il est probable que, en aucune époque, fut-ce en notre temps, si actif pourtant et si fiévreusement entreprenant, la France du travail n’a produit un effort comparable à celui des vingt dernières années qui précédèrent la Révolution. Ce règne de Louis XVI que, dans les récits de l’histoire, écrase et efface son terrible dénouement, fut un âge de prospérité laborieuse qui n’a point de similaire. L’ancien ordre de choses s’empressait, avant l’ouragan, d’épanouir ses dernières fleurs ; elles furent les

  1. . La vie parisienne sous Louis XVI, p. 54.
  2. La vie française à la veille de la Révolution, p. 149.
  3. Thierry, Guide de l’amateur et de l’étranger, 1787.