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les habitants du pays, satisfaits d’exploiter en toute tranquillité leurs petits champs ou leurs petits commerces, se replièrent en quelque sorte sur eux-mêmes, s’enfoncèrent jalousement dans leurs vieilles mœurs, leurs vieux usages et leurs vieilles idées. L’étranger qui, si souvent, y avait apporté la ruine, fut tenu plus que jamais en suspicion.

La vallée, ayant cessé d’être un lieu de passage, se ferma de plus en plus. L’accès en est d’ailleurs difficile, surtout en hiver, lorsque la neige obstrue les cols, efface les routes, recouvre tout de son immense blancheur. Mais les routes sont relativement récentes. Pendant longtemps, les indigènes durent se contenter de simples pistes tracées aux flancs des montagnes. La Cerdagne était le pays béni des muletiers et des contrebandiers. Jusqu’à ces dernières années, on y voyageait en diligence. Il fallait coucher en route et se lever de grand matin. Quand on quittait le chemin de fer à Prades et qu’on avait la prétention de se faire conduire en voiture jusqu’à la frontière espagnole ou quelque petit trou estival, on devait soutenir de véritables luttes contre la rapacité des voituriers qui, à toutes les supplications de l’étranger, répondaient avec un beau dédain :

— Pour vous porter à Bourg-Madame, ça sera tant !… Et ça sera tant pour vous porter à Mont-Louis !…

Les frais de « portage » s’élevaient à des sommes exorbitantes.

Maintenant, une ligne de tramways électriques, qui appartient à la Compagnie du Midi, sillonne toute la vallée et aboutit à la butte de Puygcerda.

Si cette ligne a été construite, il sied d’en attribuer l’initiative, du moins pour la meilleure part, à l’actuel député de Pradès, M. Emmanuel Brousse, qui, depuis bientôt un quart de siècle, s’efforce, comme on dit, de « mettre en valeur » les cantons les plus pittoresques de son arrondissement, cette Cerdagne française, à laquelle, dès 1896, il consacrait un charmant livre tout plein de bonnes choses et de bonne humeur, tout égayé et tout succulent de couleur et de saveur locales. Depuis, il n’a pas cessé de travailler pour y attirer les touristes, multipliant les voies d’accès, appelant la création d’hôtels et d’établissements thermaux, en somme tâchant à refaire de la Cerdagne le « passage » qu’elle fut autrefois. Mais, en dépit de cette