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sève et à une opacité de feuillages que je n’ai retrouvées nulle part ailleurs, même dans la royale forêt de Fontainebleau. Et ainsi pour moi, il n’y a de forêts, à proprement parler, que chez nous. Néanmoins, les pins de Font-Romeù composent d’admirables perspectives bocagères. Les plus vieux d’entre eux sont hauts comme des mâts de navires. Il y en a une véritable armée, le long de la route de Mont-Louis, qui escalade les pentes abruptes de l’Ermitage. Tout droits, le fût dépouillé et maculé çà et là de mousses blanchâtres, pareilles à des stalactites de cire, ils ont l’air d’une procession géante, une procession de cierges de Pâques, qu’à, avec une hâte joyeuse, au rythme d’une musique de jubilation, s’élancerait, en bondissant, vers la fontaine et le sanctuaire.

Ces aspects grandioses sont rares. D’habitude, ce qui s’offre aux regards ce sont d’immenses pelouses arrondies et environnées de massifs de pins, de fourrés de lentisques, pareilles aux pelouses d’un parc. L’herbe drue et moelleuse est arrosée par une infinité de petites rigoles souterraines. Le sol élastique cède sous les pas. Dans les creux, dissimulés sous les touffes des ajoncs, s’élargissent des trous d’eau que les gens du pays appellent des « mouillères. »

Plus loin, des nappes dormantes resplendissent, des mares, des étangs, des lacs en miniature. Tout près de l’Ermitage dort un « Lac noir, » hanté par des fées malfaisantes qui sont la terreur des bergers. Mais ces paysages un peu sombres ou austères sont encore une exception. Le caractère de toute cette forêt est bucolique et souriant. Des troupeaux de vaches et de cavales y évoluent du matin au soir, sous des essaims de mouches bourdonnantes. L’immense pâturage s’étend devant les bêtes ivres d’espace comme un festin interminable. La prairie regorgeante, sans cesse imbibée d’eau, est un grand tapis vert ramage de jaune et de violet, où le menu peuple des fleurs champêtres foisonne avec une luxuriance extraordinaire : les campanules mauves, les scabieuses, les pieds-d’alouette et les minettes d’or tachetées de roux comme le plumage des rouges-gorges et les folles graminées, et les anis ’aux ombelles neigeuses. De loin en loin, dominant les herbages et toute cette charmante flore pastorale, surgissent d’énormes amoncellements de roches, visibles de tous les points de la vallée, comme des postes de vigie. Du haut de ces rochers, on reprend le grand