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par l’écrasement de la zone fortifiée, il rend à l’infanterie un rôle prépondérant. « Le canon conquiert, l’infanterie occupe ; » cette formule lui paraît insuffisante. Il a confiance dans le fantassin. Il pense qu’une troupe aguerrie, mobile et manœuvrière, peut progresser en négligeant les obstacles secondaires qu’elle rencontre, pourvu qu’elle avance hardiment partout où elle trouve une issue. Or, dans une attaque étendue à 60 kilomètres, la densité des défenseurs, forcément inégale, offrira fatalement des points faibles. L’essentiel est de pousser en avant, le plus loin possible. Tout centre de résistance tombe de lui-même lorsqu’il est dépassé par le flot des combattants. Dès lors, il faut assigner à l’infanterie des objectifs très éloignés. De même, l’artillerie doit accroître en profondeur son travail de destruction pour désorganiser la défense jusqu’à l’extrême limite. Une image peut rendre tangible cette conception : faire sauter le plus grand nombre de mailles de la trame de feux qui barre le passage et s’engouffrer par les brèches ainsi ouvertes. Il ne s’agit plus de conquérir chaque position, il s’agit de la dépasser.

À cette conception originale et hardie de l’attaque, — dont les Allemands se sont fortement inspirés par la suite quand ils ont réglé les phases de leur nouvelle méthode de combat, — les événements apportèrent mille entraves. Le repli de Ludendorff en mars rendit inutilisable le champ de bataille choisi, déjà complètement aménagé. Décidé à garder l’initiative et ne voulant pas renvoyer à plus tard son offensive, le commandement français laissa de côté le front nouveau de Saint-Quentin à l’Aisne qui demandait six mois pour être organisé, et fit glisser son attaque jusqu’à Reims, mettant à profit des fronts déjà équipés et y ajoutant un secteur de diversion en Champagne. Aucun de ces fronts n’offrant une plate-forme de départ suffisante, un mois de travail acharné les mit en état. Le mauvais temps persistant contraria malheureusement les réglages de l’artillerie, le travail de l’aviation, d’autant plus nécessaires que le terrain était difficile, montueux, boisé, creusé de ravins. L’ennemi disposait d’observatoires dominants. De plus, l’attaque en tenaille préméditée sur le saillant de Noyon, réel bénéfice de la bataille de la Somme, s’était changée par la force des choses en attaque frontale. Notre artillerie, composée surtout de pièces lourdes à tir lent, n’était pas assez nombreuse pour