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perdu : c’est qu’elles trouvaient, là, une occasion admirable de déployer leurs toilettes. À cette époque, où les lumières artificielles étaient faibles et rares, et allumaient peu de feux sur les bijoux, il fallait, si on les voulait montrer, les produire au soleil. Aussi, dès qu’une chasse était annoncée, on s’acheminait vers l’épaisse Tour du Trésor ; de ces belles armoires dessinées par Léonard de Vinci, on tirait les lourds pendentifs, les colliers, les guirlandes, les boucles d’oreille, les diadèmes, et, au galop des haquenées, tout cela tressautait sur les gorges, ondulait en plein vent, dans les huiliers, sous les branches battantes, parmi les foulées sonores, l’éboulement des cailloutis, les éclaboussures des flaques d’eau, les cris, les abois des chiens et les miaulements des guépards.

Au mois de mars 1491, Béatrice d’Este écrit à sœur Isabelle :


Je me trouve à Villanova, où la beauté du pays et la douceur de l’air nous font croire que nous sommes déjà au mois de mai, tellement le temps dont nous jouissons est chaud et splendide. Chaque jour nous sortons à cheval, avec les chiens et les faucons, et mon mari et moi, nous ne revenons jamais sans nous être excessivement amusés à chasser les hérons et oiseaux de rivière. Le gibier est si abondant, ici, qu’on voit des lièvres partir dans tous les coins de telle sorte que, souvent, nous ne savons de quel côté nous tourner pour faire la plus belle chasse. En vérité, l’œil ne peut apercevoir tout ce qui sollicite notre désir et il est presque impossible de dire le nombre des animaux qu’on peut trouver dans les environs. Je ne dois pas oublier de vous dire, non plus, combien, chaque jour, Messer Galeazzo et moi, avec un ou deux courtisans, nous nous amusons à jouer à la balle, après le diner, et nous parlons souvent de Votre Excellence et nous souhaitons que vous soyez ici. Je dis tout cela, non pour diminuer le plaisir que j’espère que vous aurez quand vous viendrez ici, en vous montrant ce que vous pouvez attendre y trouver, mais afin que vous sachiez combien je suis heureuse et combien mon mari est bon et affectionné, car je ne peux jouir entièrement d’aucun plaisir si je ne le partage avec vous. Et je dois vous dire que j’ai fait planter tout un champ d’ail pour votre usage, afin que, lorsque vous viendrez, vous ayez à foison votre mets favori. — 18 mars 1491.


Séduite par la perspective de ce raffinement suprême, Isabelle finit par venir, l’an d’après, et voici ce qu’elle écrit à son tour, de Galliate, le 27 août 1492 :