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— Allons, vous avouerez au moins qu’ « ils » vous ont bien quelque peu brutalisés, puisque vous étiez les plus faibles ?

— Pas même cela, cher ami, pas même, cela, non, en pure vérité ! « Ils » sont venus, rasés de frais, l’arme à la bretelle et le sourire aux lèvres (même qu’ils avaient joliment fait toilette pour cette petite visite « entre voisins ! ») nous tendre une main la plus amicale du monde, en nous disant : « Camarades… — pardon ! « Kamarades, » bonjour ; guerre finie pour vous ! » Et de nous donner des cigares, des cigarettes, des biscuits (fameux, leurs biscuits ! ) et encore des poignées de mains à tour de bras.

— Pas possible !

— Pure vérité, vous dis-je…

— Mais les civils, eux, n’ont pas dû manquer de vous accabler d’outrages au passage ?

— Hé bien, non, sur l’honneur ! Les civils, dans toutes les villes que nous avons traversées, n’ont que recueillement et respect à notre égard, et les seules manifestations que j’aie jamais pu sur prendre étaient les manifestations d’une sympathie et d’une pitié non douteuses. Jusques aux paysans qui, au passage du train, nous emmenant vers l’exil, agitaient leur mouchoir d’un geste amical.


Les Boches ont-ils espéré qu’un Français se laisserait jamais prendre à pareils mensonges ? Ont-ils cru que le tableau enchanteur des guerriers du Kronprinz rasés de frais et serrant à tour de bras les mains des prisonniers, donnerait à nos combattants l’abominable pensée de déserter leur poste ? La vérité sur la manière dont ils traitent les prisonniers est connue ; les casemates de Rastadt, les marais de la Prusse orientale et de Russie, les mines, les usines infernales, certains camps d’internement où la cruauté allemande a dépassé en horreur tout ce qu’on peut imaginer, ont laissé entendre à travers le monde les gémissements et les plaintes des torturés.


LE CHANTAGE ÉCONOMIQUE

L’éternel « Français » fictif, mis en avant par le rédacteur de la Gazette des Ardennes, paré pour la circonstance du titre « d’industriel, » écrit à la date du 14 janvier 1917 :


Croyez-vous que tel industriel de Lille ou de Roubaix qui, depuis des dizaines d’années, trouve intérêt à faire des affaires avec tel autre industriel ou banquier d’Allemagne, croyez-vous qu’un négociant en