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les États-Unis d’envoyer en France des munitions empoisonnées.

Les habitants des régions envahies, rapatriés en France, parlent avec horreur et dégoût de la Gazette des Ardennes. Ceux qui, dans la Somme, subirent la domination allemande jusqu’au 18 mars 1917, avant le « repli stratégique » dHindenburg, ont fait entendre depuis les mêmes énergiques déclarations. On les obligeait, à lire la feuille de mensonges et de chantage : ils la lisaient en effet, mais entre les lignes, cherchant la vérité à travers les méandres compliqués de la dissimulation boche, et découvrant souvent, avec une joie silencieuse, la colère ou le désappointement de l’ennemi. Chaque jour, ils pouvaient constater à quel point les correspondances de la « régionale » s’éloignaient scandaleusement de la réalité, et rien ne rehaussait mieux leur courage et leur foi que cette éternelle nécessité de mentir où l’Allemand se trouve empêtré. D’autre part, les louanges absurdes que prodiguait Prévost à la délicatesse, à la probité, à l’humanité des officiers allemands étaient immédiatement mises au point par une population plus clairvoyante que l’ennemi ne le soupçonnait, et qui était témoin de désordres et d’atrocités sans nom. Un fermier de la Somme a vu, un jour, un feldwebel contraindre un soldat de sa compagnie à courir, devant tous les hommes rassemblés, jusqu’à épuisement, et à se coucher ensuite tout de son long dans une flaque d’eau. Les Allemands regardaient sans surprise le spectacle de cette sinistre discipline, mais pour les Français, quelle révélation !

Nous avons dit que les nouvelles des revers français et des succès de nos ennemis, naturellement amplifiées par la Gazette des Ardennes et commentées avec perfidie, n’ont point découragé les victimes de l’invasion. Sans doute, nos compatriotes gardaient la méfiance instinctive d’une pareille source de renseignements. Mais il y a une autre cause à cette admirable sécurité morale que rien n’a pu entamer. C’est que, de temps en temps, une information précise et sûre traversait les lignes ennemies et arrivait mystérieusement dans les régions désolées. Nous ne pouvons encore donner aucun détail sur la manière dont certains événements ont été connus en pays envahi, dont certaines communications intermittentes ont été réalisées entre Français séparés par la dure muraille d’acier. Cela vaudrait une