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libéraux de Genève ; ils estimaient cependant que, dans son manifeste, l’immortalité de l’âme était trop voilée ; et tandis que M. Buisson, qui venait d’un canton dans lequel les cadres de l’Eglise avaient quelque chose de moins large, réclamait la séparation entre l’Église et l’État, les libéraux de Genève, eux, ne la voulaient pas. Ils trouvaient, tout au contraire, singulièrement opportune et commode cette Église-peuple, créée en 1847, dont l’Etat maintenait l’unité, et qui, donnant asile à toutes les théologies, et même à certaines incroyances, ouvrait à la propagande libérale le plus hospitalier des terrains.

Entrez ! tel était le titre d’un discours que prononçait en avril 1869 le pasteur Cougnard, pour élargir encore le champ de cette Église et pour inviter tous les esprits à venir s’y ranger. Les catholiques, les hommes du Réveil, regardaient ironiquement. Un protestant de nuance évangélique voulut faire taire l’ironie de ces regards et venger l’intégrité de l’Eglise officielle ; et s’enflammant d’une sainte colère, il jeta à la tête du pasteur Cougnard une brochure qui s’intitulait : Sortez ! Mais Cougnard resta, récidiva ; et son prêche nouveau, qui s’intitulait : La religion du bien, fit un vif plaisir à M. Buisson, qui crut comprendre que, d’un geste cordial, Cougnard ouvrait la porte de l’Église aux athées eux-mêmes. Le bruit fait autour de Cougnard transformait ce brillant orateur en un homme représentatif : il s’en fut à la Chaux-de-Fonds pour installer dans une chaire un pasteur français démissionnaire, Félix Pécaut. Et Cougnard, installant Pécaut, fit un prêche sur ce thème : Crois ce qui te semble vrai, lais ce qui te semble bien. L’Église de Neuchâtel porta plainte à celle de Genève contre un tel message, et le Consistoire de Genève répondit qu’il en était attristé. Mais c’était une tristesse platonique, désarmée, à laquelle Cougnard avait le droit de passer outre.

En 1870, l’Union suisse du christianisme libéral fut fondée… 53 pasteurs genevois sur 93 signèrent, à l’encontre, une déclaration de principes orthodoxes : les manifestes s’affrontaient.

Les fondements renversés : ainsi s’intitulait, le 14 janvier 1872, un discours du pasteur Barde. Il montrait les décombres s’accumulant, et criait avec douleur : « Qu’en dites-vous, ô nos pieux ancêtres ! » Parlant comme s’il ignorait l’évolution qui, depuis un siècle, avait entraîné l’Église de Genève, Barda déclarait avec netteté : Une Église pans confession de foi est vouée à la destruction.