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de France. « Il avait, lui, quitté l’Eglise pour en fonder une, à sa façon ; ces prêtres qui venaient, docilement, subir les lois de l’Etat de Genève dans la singulière Église « catholique » qu’avait échafaudée cet Etat, chagrinaient l’ancien Carme. « Quant au clergé soi-disant catholique libéral de Genève, écrivait-il, à une ou deux exceptions près, j’ai pour lui un de goût toujours croissant. » Il aurait voulu prendre « des verges trempées dans la boue » pour purifier de certains de ses ministres les temples dont sa propre venue leur avait montré le chemin. Sous ses yeux, dans le protestantisme, le libéralisme grandissait : il n’avait pas de terme assez sévère contre cet autre christianisme libéral, qui n’était, disait-il, ni chrétien, ni libéral. Aussi se préparait-il à quitter Genève, mécontent de tout.

Il était mécontent des radicaux. « En combattant l’ultramontanisme comme ils le font, écrivait-il, nos radicaux à courte vue lui préparent le plus magnifique triomphe. » Il était mécontent du protestantisme : « Je bénis Dieu, disait-il, de n’avoir jamais permis que je m’engage sur la pente de ce faux spiritualisme qui conduit les uns à l’incrédulité, voire même à l’athéisme, — oui, l’athéisme est une des formes avouées du pastorat, — pendant qu’il disperse les autres dans le mysticisme individuel ou dans l’émiettement des sectes. Ce que j’aime, continuait-il, dans beaucoup de protestants, c’est leur admirable christianisme ; ce n’est pas leur protestantisme étroit et sec, ou vague et inconséquent. » Il était mécontent de la démocratie, de cette démocratie qui l’avait pourtant nommé curé, qui avait édifié son Eglise. « La démocratie telle qu’elle se pratique à Genève, murmurait-il, est une bien triste, pour ne pas dire une bien sale chose. » Alors, dans deux discours sur l’Eglise catholique en Suisse, il demandait pardon à Dieu et aux hommes d’avoir accepté la cure de Genève. Et, dans une éloquente apostrophe à son fils, il résumait ses griefs contre Genève sur laquelle il secouait la poussière de ses pieds :


Quand un jour on demandera à mon fils : Jusques à quand ont duré les illusions de ton père ? Je veux qu’il puisse répondre : Jusqu’à l’affirmation de la fausse démocratie religieuse, jusqu’à l’installation du Conseil supérieur de l’Église d’État. Si on lui dit encore : Ton père présidait-il, entre deux gendarmes, au baptême armé de Compesières ? je veux qu’il dise : Non. Officiait-il dans l’église de Notre-Dame crochetée, envahie, au mépris des tribunaux du pays ? Non.