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Ce « considérant » de fait à part, il n’en reste pas moins vrai que, comme principe fiscal, la progressivité n’a pas encore été fondée en théorie. Elle ne présente pas, dit Stuart Mill, ce « degré de certitude » d’après lequel un législateur peut agir. L’instinct social qui porte les âmes généreuses à admettre ou à désirer que le superflu soit taxé plus haut que le nécessaire, ne saurait conférer à l’idée de progression la valeur d’un principe, la force d’un impératif catégorique. Progressif, l’impôt pourra être équitable ou ne l’être pas, il fera du mal ou n’en fera pas, selon l’application, le taux, les circonstances. Toutes les théories du monde sont restées jusqu’ici impuissantes à déterminer une formule, une mesure d’application. — Autrefois, on vivait sur cette règle positive et sûre, l’universalité et la proportionnalité de l’impôt. « Les contributions, disait la Déclaration des droits de l’homme, seront réparties également entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » C’est clair. La justice veut que dans une démocratie tous les citoyens aient droits égaux et devoirs égaux : l’impôt frappe tout le monde, et chacun en proportion de ses moyens. Hors de là, point de loi, on tombe dans l’arbitraire, avec tous ses risques. Maîtresse du pouvoir, la classe la plus nombreuse sera tentée de s’affranchir de l’impôt direct, bien qu’il soit inique qu’elle cesse d’être directement intéressée à la bonne gestion de la chose publique : Robespierre lui-même ne voulait pas qu’on infligeât à « la partie la plus pure de l’humanité » cette humiliation de l’excepter de 1’ « honorable obligation de contribuer aux besoins de la patrie. » Elle sera portée à surcharger la minorité aisée ou riche, qui paiera l’impôt qu’elle ne votera pas, tandis que la majorité le votera sans le payer : déjà en 1917, sur 11 millions de contribuables, notre impôt global n’en a frappé que 367 554, soit 3,3 pour 100. Elle tendra enfin à hausser de plus en plus la progression pour lui faire rendre de plus en plus, et la fraude, loin de servir de régulateur à la poussée de fiscalité démagogique, n’aboutira qu’à l’exciter. Contre ces abus, la sagesse des pouvoirs publics peut et doit défendre le pays. Le succès ou l’échec de l’expérience est dans leurs mains, et c’est de leur prudence qu’il dépendra de faire de l’impôt progressif un bon impôt ou un mauvais, — œuvre de justice ou d’injustice.

N’oublions pas d’ailleurs que les problèmes fiscaux