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pas réussi à livrer à ses divers alliés jusqu’à 950 pièces lourdes ? Mais, bien plus que de son assistance en engins de guerre, elle doit s’enorgueillir d’avoir fourni à la plupart de ses alliés des idées et des instructeurs. Alors qu’elle était presque seule encore à soutenir le choc de l’Allemagne, elle a commencé de les aider, matériellement, intellectuellement. Elle n’a pas cessé. Et l’on peut dire que l’artillerie française a plus ou moins servi de modèle à toutes les artilleries de l’Entente.


Tous ces aspects de l’énergie française m’apparurent à la fois, et je les contemplai pieusement, humblement, vénérant la patrie, en cette semaine d’octobre 1917, dont le souvenir sans cesse me hante, où il me fut donné de suivre la préparation par l’artillerie de la bataille de la Malmaison. Durant quatre jours, tandis que la canonnade, s’apaisant, s’irritant, courait du moulin de Laffaux au bois de la Royère, je pus voir ou entrevoir, appliqués à leurs diverses tâches, nos artilleurs, ceux-ci au fond de leurs abris souterrains et d’autres sous les toiles bizarrement camouflées des tentes, ceux-ci qui étudiaient le réseau de réglage ou le système des liaisons, et d’autres qui se penchaient sur le croquis des destructions entreprises et déchiffraient d’heure en heure les photographies aériennes.

Et, me reportant par la pensée à trois ans en arrière, aux jours où la France pacifique fut saisie à la gorge, je songeais que rien alors n’existait chez nous, ou presque rien, de toutes ces choses maintenant étalées sous mes yeux, ni ces engins, ni ces méthodes, ni sur leurs affûts-trucs ces pièces monstrueuses, ni ces chars d’assaut, ni la voix souveraine de ces obusiers de 400, ni, sur les routes fourmillantes de troupes, les cheminements sans fin de ces batteries à tracteurs, ni ces convois immenses de munitions qui montaient à la nuit des échelons aux lignes : de tant de puissances maintenant ramassées sur elles-mêmes et prêtes à se déchaîner, rien encore n’existait chez nous en 1914, sinon cette grande chose, la volonté de mourir ou de vaincre, et cette autre chose, non moins grande, une longue tradition d’art militaire et de science, entretenue vivante par le corps de nos officiers d’artillerie. Et parce que, durant trois années, aux batteries, aux postes d’observation et dans les laboratoires, ils avaient