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prince, ceux-ci dépassaient de beaucoup la commune mesure… Le Pistoia, par exemple, allait jusqu’à lui dire :


Ben puoi dir, Signor mio, ho nette mani
il cielo él mundo tutto sotto il manto,


pensée qui fut reprise plus tard par l’auteur inconnu du Lamento, lorsqu’il faisait chanter au More, dans sa prison, en se souvenant de ces temps heureux :


Io dicevo che un sol Dio
Era in cielo et un Moro in terra
E secondo il mio desio
Io facevo pace et guerra.


Telle était encore la fortune du More, le 2 janvier 1497.

Trois ans après, qu’était-elle devenue ? Si nous voulons mesurer la profondeur de sa chute, lisons la lettre que l’ambassadeur de Venise, Trévisan, écrivait, de Lyon, à la Seigneurie :


Lyon, le 2 mai 1500, au soir.

Aujourd’hui, avant deux heures, le seigneur Ludovic a été amené dans la ville. Tel était l’ordre du cortège : d’abord, venaient douze officiers de la garde de la cité, pour empêcher la foule qui emplissait les rues de pousser des cris. Ensuite, venaient le gouverneur de Lyon et le prévôt de justice, à cheval, et ensuite ledit seigneur Ludovic, vêtu d’une veste de camelot noir avec un haut-de-chausses noir, des bottes de cheval et une barrette de toile noire qu’il tint le plus souvent à la main. Il regardait autour de lui, comme s’il était décidé à ne rien montrer de ses sentiments dans cette catastrophe de sa fortune ; mais il était très pâle et paraissait très malade, quoiqu’il eût été rasé le matin, et ses bras tremblaient, et il était secoué tout entier. Tout de suite après lui, chevauchait le capitaine des archers du Roi, suivi d’une centaine de ses hommes.


Dans cet ordre, ils le menèrent à travers toute la ville jusqu’au château, sur la colline, où il sera bien gardé durant la semaine suivante, jusqu’à ce que la cage soit prête, laquelle sera sa demeure nuit et jour. La cage, à ce que j’ai entendu dire, est très forte et faite de fer pris dans du bois, en sorte que les barreaux de fer, au lieu de pouvoir être sciés par une lime ou tout autre instrument, jetteraient des étincelles de feu. Je ne dois pas oublier de vous dire une chose. L’ambassadeur d’Espagne et moi étions à une fenêtre, ensemble, lorsque le seigneur Ludovic a passé, et, quand l’Espagnol lui fut montré, il Ota sa barrette et salua. En apprenant que j’étais