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éléments de la nation avides de mettre fin aux désordres de la Russie et d’instaurer un pouvoir stable. Le général Kalédine, chef militaire de tous les Cosaques du Don, leur prête son concours : il emploie tout son prestige et toute l’autorité de sa haute fonction, à organiser une armée de Cosaques en état de défendre les pays du Don contre les détachements de Bolcheviks qui ont pris pied sur toutes les lignes menant vers Nowo-Tcherkask.

On ne trouverait pas d’exemple, dans l’histoire, d’une telle abondance de talents réunie dans une si petite armée. Le général Alexeief, le plus grand stratège russe, l’ancien généralissime, commande des forces qui atteignent tout juste l’effectif d’un régiment. Il a, à ses côtés, un autre grand chef, son ancien antagoniste, maintenant son ami : Kornilof. A l’état-major, sept généraux, parmi les plus réputés : Dénikine, ancien chef d’état-major au G. Q. G., Markof, Romanovsky, Elsner, Erdeli, etc. On verra par la suite que cette profusion de savoir militaire et de prestige n’aura pas été de trop pour guider, à travers tous les dangers dont elle est entourée, cette armée d’élite qui compte à peine 3 500 hommes, et qui a devant elle des forces plus de dix fois supérieures en nombre.

Un bruit de conversations, comme au cercle. Le fait est que sous une coupole, à laquelle aboutissent les divers bureaux de cet extraordinaire état-major, cause une foule élégante, pour la plus grande partie en vêtements civils : j’y reconnais plusieurs généraux.

Le général Dénikine, sans la barbe qui, jadis, lui donnait l’air d’un pope aux armées, n’a plus dans les yeux sa gaîté d’autrefois ; son front s’est chargé de soucis ; mais le geste par lequel il me tend la main, a toujours la même cordialité.

Markof, toujours grondant, bousculant tout le monde, tempêtant contre une porte ouverte ou fermée, contre un chien qui ne passe pas assez vite entre ses jambes, contre un pauvre diable d’officier coupable d’avoir une mauvaise écriture, fait une drôle de mine dans son frac, dont les pans flottent derrière lui, tandis qu’il arpente la pièce à grandes enjambées.

Kornilof, visage pâle, regards brillants de vivacité et d’intelligence, est sans nul doute préoccupé au plus haut point des difficultés au milieu desquelles se débat la nouvelle armée, mais n’en vaut rien laisser paraître : esprit simple