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En outre, du fait de l’isolement des navires attaqués, la certitude de l’impunité dans laquelle vivaient les commandants allemands et qui était la conséquence de cet isolement, était, pour ceux-ci, un encouragement à commettre des actes de piraterie odieuse, dont on peut espérer que le retour est désormais impossible.

À bord du brick-goélette la Léontine, criblé d’obus, et qui s’obstine à ne point couler, « les Allemands font irruption pour y placer des bombes. Voyant tant de gens tués ou blessés, ils supposent que tout l’équipage est là sur le pont et ne songent pas à fouiller le navire. Le mousse, un enfant qui se rend compte que l’explosion peut causer sa mort, implore les agresseurs, demande grâce. Des coups de revolver répondent à ses lamentations : des rires et des chants accueillent ses plaintes : une bombe explose ; le mousse meurt… » De quelle époque lointaine date ce crime ? Sommes-nous au temps des flibustiers ? Non. Le rapport, dont nous citons un extrait, est du 20 mars 1917, et il porte la signature du lieutenant de vaisseau directeur de la Police de la navigation à Lorient.

De telles attaques, qui font songer à celles des Pavillons Noirs montant à l’abordage des jonques chinoises, furent rares ; non que les Allemands aient reculé devant l’atrocité de pareilles scènes, mais parce qu’elles ne se présentaient pas toujours sans risque pour eux, quand, au lieu de mousses inoffensifs, ils rencontraient des hommes armés. En revanche, avant le convoyage, les marins du Kaiser excellaient dans l’art de détruire les bateaux sans avertissement. Voici quelques exemples de sinistres dus à ce procédé sommaire et cruel :

Prenons d’abord celui du Cacique de la Compagnie générale Transatlantique. Le Cacique passait le 20 février 1917 au large de Pile d’Yeu, quand, à treize heures trente, et sans que personne eût aperçu le sous-marin, le navire reçut une torpille qui le frappa entre la machine et la cale numéro 2. Les panneaux de cette cale volèrent en miettes et, par les tôles disloquées de la coque, l’eau s’engouffra. Un instant le capitaine attendit, espérant que son navire resterait à flot, mais l’eau continuant à entrer, l’ordre d’évacuation fut transmis à tout l’équipage. Les hommes se répartirent dans deux canots. La mer était grosse ;