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Bien que les deux torpilleurs empêchent le sous-marin d’émerger, et se portent au secours des naufragés, cette catastrophe n’en fait pas moins 721 victimes dont 106 tirailleurs sénégalais et 4 officiers du bord sur 5.

L’accident du Medjerda de la Compagnie mixte va nous fournir une nouvelle preuve de la cruauté allemande. Cet accident eut lieu à la tombée de la nuit (dix-neuf heures dix) dans le golfe de Tortosa, à 3 milles à peine de la terre. Le navire frappé en plein dans les machines, l’eau s’engouffra comme une trombe dans les compartiments : en une minute, le navire qui s’était aussitôt enfoncé de l’arrière disparaissait verticalement. La rapidité vertigineuse de cette disparition n’avait pas donné à l’équipage le temps matériel de couper les attaches des embarcations. Seuls quinze radeaux qui étaient simplement posés sur les ponts flottèrent et permirent de ramasser tous les passagers qui n’avaient pas été tués par l’explosion ou engloutis dans les différentes parties du navire. Alors on vit émerger le sous-marin. Braquant son canon sur les naufragés sans défense, il fit le tour des épaves. « Sur son kiosque le commandant et quelques hommes fumaient des cigarettes, heureux de leur forfait. » Ensuite il s’éloigna et lança une fusée éclairante, — sans doute afin de prévenir que l’acte de barbarie était accompli. Un soldat rescapé affirme : « Le sous-marin évoluait tranquillement parmi les épaves, jouissant de son œuvre. Des officiers et des marins boches prenaient des vues photographiques pour commémorer cette vision ! » La vision de 300 êtres humains disparaissant dans les flots !

Devant l’évocation de tant d’horreurs, on hésite à poursuivre ; pourtant, avant de quitter le pont des paquebots et des cargo-boats, nous devons essayer de donner quelque idée des angoisses de ceux qui ont été victimes de ces torpillages sans préavis. Quoique pendant des heures et des jours, peut-être, ils aient vécu dans la crainte du tragique événement, la détonation sinistre annonçant l’arrivée de la torpille éclate toujours au moment où l’on s’y attend le moins. Une immense gerbe d’eau, polluée de charbon et de matières grasses, s’élève et retombe lourdement sur le spardeck. Le vapeur donne de la bande, il s’incline. L’ordre court de l’avant à l’arrière : « Chacun à son poste d’évacuation ! » L’équipage et les passagers, le cœur serré, se rendent à leurs embarcations