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se contentait-il pas d’en jouer le rôle, dans un pays où tous les hommes politiques sont sur le théâtre et ont chacun son emploi ? Il en est même pour jouer les victimes, mais ne gémissons qu’à bon escient de leur infortune : parfois c’est du théâtre encore, et il se peut qu’ils n’aient été que fort peu martyrs. Le rédacteur de cette chronique s’est trouvé, aux jours décisifs, à portée d’en côtoyer deux qui n’étaient pas des moindres. Quoiqu’ils fussent en dissentiment affiché sur la route à suivre, et bien que l’un ait été depuis lors envoyé dans une légation de première classe, le second en prison, il n’a pu chasser l’impression que ces deux anciens amis n’avaient pas cessé d’être d’accord et que, se partageant la besogne, ils travaillaient ensemble. Mais il ne s’agit que de M. Malinoff. En débarquant sur l’autre rive, ce politicien étiqueté russophile n’avait ni brûlé ses vaisseaux ni coupé les ponts : il avait conservé du moins assez de planches pour en construire barque, radeau ou passerelle, d’où il tendrait la main au tsar Ferdinand pour le faire revenir de loin. Ferdinand, que tirait son ministre, s’était engagé sur la passerelle : ce pas aussi était significatif. Point de doute. Le vent qui nous rapportait Ferdinand s’était levé en tempête sur l’Europe centrale. Pour que le roi nous revînt, il fallait que non seulement il sût n’avoir plus rien à espérer de l’Allemagne, mais qu’il pensât n’avoir plus rien à en craindre.

Une capitulation absolue, imposée et subie à des conditions que nous avons dictées, ne peut manquer d’avoir des conséquences, des répercussions de toute espèce. Elle doit en avoir, au plus tôt et au plus près, sur la Turquie, qui vient de perdre trois armées, la Palestine et la Syrie, Caïffa, Saint-Jean-d’Acre et Damas, que l’Allemagne trompe et déçoit, qui commence un nouveau règne, est lasse des Enver-pacha, et qui peut être tentée d’imiter le geste; sur la Roumanie, que ce geste peut convier à la résurrection; sur la Russie méridionale, qu’il peut nous permettre d’atteindre. Si la reddition bulgare ne nous rouvre pas les détroits qu’interdiraient les cuirassés russes livrés par les bolcheviks et travestis en escadre allemande, elle nous met au bord de la Mer-Noire. Et, quoi que ce soit qu’elle nous rouvre, ce qu’elle ferme à l’ennemi est pour l’avenir plus important encore. En lui coupant la route de Constantinople, elle ruine son projet monstrueux d’une Mittel-Europa germanique, ou germanisée, ou germanisante, qui irait de Hambourg à Bagdad. Elle clôt l’ère du Drang nach Osten et confine la race allemande dans le coin de terre que la nature et l’histoire lui ont assigné. Elle interrompt la