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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/235

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d’une façon pleinement satisfaisante, le brusque renversement des positions et des chances : ni la supériorité de nos effectifs, ni celle, en quantité et en qualité, de notre matériel, ni l’échec relatif de la guerre sous-marine, ni l’afflux énorme et régulier des renforts américains, ni même, enfui réalisée, passée vivante dans l’action, l’unité de commandement; tout cela, certainement, comptait, pour le plus gros, pour les neuf dixièmes, si l’on veut; mais pourtant, il devait y avoir, en outre, quelque chose que nous ne savions pas, par quoi le grand ressort était faussé, et la machine déréglée. La demande d’armistice du gouvernement allemand nous en apporte l’éclatante confirmation : elle est un aveu tout ensemble et de faiblesse militaire et d’embarras politique.

Restent les intentions : il faudrait, pour les démêler, une analyse très serrée. Qu’est-ce que l’Allemagne attendait de l’armistice? Qu’en espérait-elle? Mais, plutôt, est-ce l’État-major ou la Chancellerie qui a inspiré la démarche? La Chancellerie dit, fait dire ou laisse dire que c’est l’État-major. Alors, ne peut-on concevoir, sans chercher plus loin, que, contraint par les armées alliées à battre en retraite sur tout le front, chassé de ligne en ligne, rejeté de Wotan sur Siegfried et d’Alberich sur Brunehilde, ramené chez lui à grandes pertes, il eût préféré s’en aller, à la faveur d’une trêve consentie, sauvant par la suspension d’armes ce qu’il eût dû abandonner, céder ou détruire dans des opérations coûteuses, et gagner ainsi tranquillement une nouvelle ligne, plus courte et plus rapprochée de ses bases, où il aurait eu le loisir de se rétablir, cependant qu’on nous aurait amusés en des pourparlers qu’on eût toujours trouvé l’occasion de rompre dès que Ludendorff aurait été prêt, et que Krupp aurait eu comblé le déficit de l’artillerie et des munitions? De plus, la coupure aurait été faite entre les deux parties de la guerre, qui auraient paru comme deux guerres, celle de l’été de 1914, dont on réussit mal à se persuader soi-même qu’elle ait été vraiment une guerre de défense, et celle de l’hiver de 1918 qui se présenterait d’autant plus incontestablement sous cet aspect, qu’elle surgirait tout à coup aux frontières. Si l’on n’y reprenait pas assez de force pour attaquer; avancer et envahir de nouveau, tout au moins en retrouverait-on assez pour résister, arrêter, et retenir. Et, dans l’intervalle, l’élan de nos troupes serait brisé; la fatigue peut être aurait pris le dessus. Qui sait même? Peut-être l’un ou l’autre des États alliés se retirerait-il de la lutte, et le faisceau délié ne se reformerait-il plus.

Ces dessous de la manœuvre allemande, on ne nous accusera pas