Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le même monde, selon les mêmes usages, avec la même dépense. Les adversaires politiques fréquentent les mêmes maisons, les mêmes cercles, les mêmes hôtels. Habitudes semblables, semblables relations et même tour d’esprit : ce sont de riches gentlemen.

Rien de pareil chez un Lloyd George.

Celui-là, vous le rencontrerez peut-être au café-concert, qu’il adore, ou au sermon qu’il préfère à tout, mais jamais dans un salon ni à quelque thé que ce soit. On l’a vu, à certaines heures tragiques de sa destinée, affronter la colère des foules, mais on peut le voir encore tout frémissant de timidité lorsque à Londres ou à Paris l’assaillent les acclamations populaires. Il n’aime ni le luxe ni les semblants de la gloire. La vie publique, pour lui, c’est le travail, et le repos du travail, c’est la vie de famille, une pipe à la bouche, un roman d’histoire ou un livre de piété à la main, sa femme et ses enfants autour de lui. Sa fortune n’a changé ni ses goûts ni ses habitudes. Né du peuple, il vit fidèle au peuple : c’est ce que ses ennemis lui ont toujours reproché. Au plus fort de sa lutte contre les Lords, quand on souhaitait de le jeter aux lévriers, on ne lui pardonnait pas d’ « être né dans une chaumière, » d’être demeuré « l’homme des chaumières. » « Ignorant démagogue » et « aveugle fauteur de la guerre des classes » étaient des expressions que l’on accolait à son nom à la manière homérique. Successivement ou à la fois, on l’a traité de « voleur, » — ce qui le laissait indifférent, — « d’avoué, » — ce qui le flattait, — de « Gallois » enfin, — ce qui l’exaltait. La guerre n’a pas complètement barré ce flot injurieux. La Nation, dans un numéro du 19 juin 1915, lui accorde, comme moyen de réussite, « une intelligence brillante, mais irréfléchie. » Un autre journal, du même jour, le New Statesman, ne voit en lui qu’ « une pure adresse politique » produisant « un record de battage énormément énergique et courageux ; » d’autres l’ont trouvé « froid et dur. » D’autres enfin ont incriminé l’incomparable usage qu’il a su faire de la presse et de la publicité nationale pour soutenir son action politique aux heures critiques de la Patrie. Enfin, la guerre finie, les violentes campagnes ont aussitôt recommencé contre lui, parce que la gloire n’a jamais servi à désarmer personne, au contraire : c’est alors que l’on a découvert dans « l’ignorant démagogue » un « réactionnaire. »