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porteur. Mais pour ce qui est de l’argent, il y eut toujours plus de difficultés. « Nous ne mangions guère de viande fraîche, avoue M. Lloyd George, et je me rappelle que notre plus grand luxe était la moitié d’un œuf par enfant, le dimanche matin. »

Par bonheur, le décor gallois n’est pas laid : la montagne, la mer, les brumes et les fumées du rêve, les yeux de l’enfant resteront pleins de ce spectacle, la mémoire imprégnée de cette poésie. N’empêche que, dans une maison qui n’est pas la sienne, le futur premier ministre a connu la faim, pire que la faim même, la pauvreté. Sur une sensibilité frémissante, dans une imagination ardente, on devine les traces que laisseront de pareilles impressions. Non seulement jamais M. Lloyd George, qui les évoque avec tant de souriante désinvolture, ne les oubliera, mais sans cesse elles seront présentes à son esprit pour diriger son action et inspirer sa politique. Ce n’est pas à des principes abstraits ni à des théories doctrinaires qu’il obéira. Quand il se lancera dans les réformes les plus hardies et verra se dresser devant lui toutes les résistances, ses discours de combat jailliront comme des cris de souffrance personnelle. « Qu’est-ce que la pauvreté ? jettera-t-il aux adversaires de ses audacieuses taxations. L’avez-vous subie vous-même ? Sinon, vous devriez remercier Dieu de vous en avoir épargné les souffrances et les tentations. Avez-vous jamais vu les autres l’endurer ? Alors, priez Dieu de vous pardonner, si vous n’avez pas fait de votre mieux pour la soulager. Le jour viendra où le pays frémira d’avoir toléré cet état de choses, alors qu’il nageait dans la richesse. » Parvenu au sommet de la puissance et de la gloire, à l’heure et à l’âge où tant de séductions corrompent ou amollissent les meilleurs, quel sera le titre dont il se montrera le plus fier, parce qu’il le sentira toujours le plus juste ? Celui de « petit frère des Pauvres. »

Mais il y a autre chose à quoi, nous, Français, devons, pour notre propre édification, prêter, dans la formation spirituelle d’un Lloyd George, une particulière attention.

L’oncle cordonnier, en effet, est un type de villageois dont nous avons grand’peine à nous faire une image en France : peut-être un philosophe, et presque certainement un théologien. Car, Richard Lloyd, tout en cousant le cuir, méditait la Bible. Il avait une ardente vie spirituelle, une foi qu’il mêlait à tous les actes de son existence et de son métier. Il était le