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de la terre. Ceux de ses ennemis qui ne voulaient voir en lui qu’un impulsif, se trompaient par excès de malice et intention méchante ; ils avaient vu juste toutefois, en signalant, comme un trait fondamental, chez lui, ce passage immédiat de l’image au mouvement, de la pensée au fait. La musique de ses phrases accompagne le drame que joue sa destinée. Son poème, il l’écrit avec des lois, dans des décrets et des arrêtés, par des résultats tangibles et des propositions qui apportent aux hommes, non pas de l’illusion, mais du bien-être et du soulagement. Aux ouvriers, aux mineurs, aux Trade-Unionistes, aux foules devenues si dociles à sa voix, s’il était venu dire : « Un temps viendra où vous serez plus heureux !... » ils auraient pu applaudir son couplet, mais n’auraient pas suivi sa volonté. Il leur disait : « Hier, voici ce que j’ai fait pour vous. Voilà ce que je veux faire demain. « Il parlait avec l’accent des prophètes, mais rendait compte de son mandat. Rien de chimérique en lui ni d’ab4rait. Le souffle mystérieux qui emporte le poète, on l’appelle inspiration : la vie active comporte, elle aussi, une inspiration. Ceux qu’elle soulève au-dessus d’eux-mêmes, ce sont les plus grands, les chefs, les guides, non plus ceux qui bercent l’humanité, mais ceux qui la réveillent, ceux qui vivent ses rêves et les réalisent pour elle. D’un mot, d’une cadence, d’un geste, d’une image, M. Lloyd George ouvre les horizons et il sait que les regards des hommes s’y complaisent : voilà pourquoi il a mis à son service la presse, la parole, tous les procédés de la propagande, a érigé en moyen de gouvernement les campagnes personnelles et la publicité. Mais il sait aussi les chemins qui mènent vers ces horizons et, quand il lève le bras des annonciateurs, il est déjà en marche et n’a plus qu’à crier : « Suivez-moi !... » Voilà pourquoi, au Commerce, aux Finances, aux Munitions, à la tête du Gouvernement, ce musicien du peuple a travaillé comme un commerçant, comme un financier, comme un industriel et commandé comme un chef d’Etat : « Ce n’est pas dans la vie ce qui vous arrive qui importe, mais la manière dont vous faites front. »

Qu’on se rappelle dans quelles conditions, au mois de mars 1916, M. Lloyd George est devenu Premier Ministre : n’est-ce pas le drame intérieur le plus puissant et le plus large qui se soit jamais débattu, peut-être, dans une conscience humaine.

Depuis plusieurs mois, Lord Northcliffe, aujourd’hui collaborateur