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conduire au sacrifice par la seule persuasion. M. Lloyd George a dû, libéralement, prêcher la guerre sainte ! Apostolat qui n’a pas toujours été sans risque, sans tristesse surtout et sans angoisse : « Cela me serre le cœur, laisse-t-il échapper un jour, d’avoir sans cesse à appeler l’attention de tous sur la gravité de la situation. Je ne fais que cela depuis des mois et mes amis eux-mêmes m’en veulent... »

Eveiller jusque dans les profondeurs du peuple la conscience britannique, créer de toutes pièces une armée de sept millions d’hommes, organiser la production industrielle la plus considérable de l’Entente, ce n’était là pourtant qu’un détail et que des besognes passagères. Le problème essentiel restait la conduite même de la guerre, dont M. Lloyd George, devenu premier ministre, prenait à lui seul la responsabilité.

L’un des reproches que l’on avait coutume d’adresser aux Anglais, était de rester toujours Anglais, de ne se placer qu’avec peine à un point de vue simplement européen, ou même mondial. M. Lloyd George arrivait au pouvoir précisément parce qu’il avait élargi ce point de vue insulaire et pour faire triompher, dans la conduite de la guerre, la solidarité internationale : il apportait, dans les Conseils de l’Entente, la perspective et le sens des proportions. « M. Lloyd George, me disait un jour un ministre français qui fut un de ses premiers collaborateurs, est l’Anglais avec lequel il est le plus aisé de s’entendre. Il est tout proche de nous. Il a presque notre tour d’esprit et une extrême vivacité. Avec lui, les entretiens avancent et l’on peut conclure sur d’autres bases que celles d’où l’on était parti. » Surtout, par tempérament autant que par expérience, M. Lloyd George s’est efforcé de rendre les rencontres entre chefs alliés aussi fréquentes et aussi approfondies que possible. Nul n’a fait davantage pour abréger la procédure des échanges de vues entre Gouvernements et substituer aux notes qui n’aboutissent jamais les conversations directes. C’est pourquoi il s’est déclaré, dès la première heure, partisan de cette unité de commandement, si longtemps combattue, qui a décidé de la victoire, et qui n’a triomphé que par sa patience et son habileté. Déjà, il avait été capable d’imposer à son pays, par la conscription, le sacrifice de la liberté individuelle : il fut capable de lui en infliger un plus dur encore, en exigeant d’un grand peuple, possesseur d’une immense armée toute neuve, dont il pouvait