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Chrétien. Melchior de l’Isle notifia le traité au margrave Guillaume de Bade, qui était le plus proche représentant de l’Empereur, et l’avertit de n’avoir plus à molester les villes d’Alsace, sous peine de rencontrer la France.

Si les historiens allemands ont peu d’estime pour un gentilhomme allemand qui travaille au service du roi de France, c’est leur affaire. Alors, ils accuseront Melchior de l’Isle d’avoir livré l’Alsace. Mais ce n’est pas vrai. L’initiative ne vint pas de ce Melchior : elle vint de l’Alsace. Elle vint de Colmar ? Elle vint de Colmar, oui, après être venue de Hanau et de Haguenau. Puis les autres villes d’Alsace, Munster, Turkheim, Schlestadt, Kaysersberg, Riquewihr, sans avoir peut-être été consultées par Colmar, trouvèrent l’idée de Colmar excellente, le déclarèrent très hautement : toute l’Alsace allait d’un pareil élan vers la France. Il ne faut pas s’en étonner. Si même on ne veut pas tenir compte d’une sympathie ancienne qui apparentait l’Alsace et la France, au moins consentira-t-on que l’expérience faite par Hanau et Haguenau avait été favorable : ces deux villes ne se repentaient pas et plutôt vantaient leur bonheur. Au surplus, les conditions qui leur avaient été accordées et que Melchior de l’Isle accordait aussi au reste de l’Alsace étaient bonnes. Le roi de France, qui donnait sa protection, n’établirait ni impôts ni péages ; il ne modifierait pas les coutumes et les constitutions, les modes électoraux, les systèmes judiciaires ; il laisserait les confessions religieuses dans leur état de liberté ; il enverrait des garnisons, qu’il payerait et entretiendrait ; il nommerait un gouverneur, dont les pouvoirs seraient ostensiblement limités par le fait qu’il n’aurait que la moitié des clefs des portes. Enfin, les villes d’Alsace garderaient leur indépendance et gagneraient leur sécurité. A défaut d’une affinité de race, — mais l’affinité de race y était, — il y aurait eu, pour tenter l’Alsace vers la France, le libéralisme français. Ce n’est pas une intrigue fomentée par Melchior de l’Isle, gentilhomme allemand, qui a livré l’Alsace à la France.

Aucune intrigue ; et à tel point que, pour n’avoir seulement pas consulté le roi de France ou le ministre, Melchior de l’Isle faillit échouer dans sa diplomatie audacieuse. Il était d’accord avec le syndic de Colmar, lorsque le 12 octobre il écrivit au cardinal. Au ton de sa lettre, on voit qu’il s’attendait qu’on le complimentât. Il apportait une conquête, et qui n’avait coûté ni argent ni soldats, une belle province, parure nouvelle pour la couronne de France. Il n’eut pas de compliments. Richelieu, tout au contraire, se fâcha : Melchior de