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enflait, les suspendait soudain, et les lançait enfin à travers l’espace où elles s’évanouissaient dans un fracas doré. Après avoir nié qu’il fût besoin au maréchal Joffre de titres littéraires, il a montré ces titres : les instructions, les proclamations, qui vivront autant que la langue française. Il a lu le simple et touchant salut à l’Alsace ; il a dit, comme un poème, l’ordre du jour que toute la France sait par cœur, l’ordre du jour du 6 septembre 1914 : « Au moment où s’engage une bataille d’où dépend le salut du pays... » A quoi pensait le maréchal en entendant de nouveau ces phrases immortelles ? Quelles scènes revoyait-il de ce drame, le plus émouvant que l’histoire du monde ait connu ? Tout à coup, les fermes méplats de sa figure se sont pour ainsi dire détendus, son teint s’est coloré, et le vainqueur de la Marne s’est mis à pleurer. Après quoi, il a tiré son mouchoir de son dolman, en toute simplicité, et il s’est essuyé les yeux.

Alors d’une voix plus rapide et plus brève, M. Richepin a lu l’ordre du jour du 12 septembre, celui qui sonne la victoire. Et il a montré comment la victoire de la Marne elle-même était une œuvre d’art bien française, et qu’elle resterait dans les chefs-d’œuvre de l’esprit national, comme les Méditations de Descartes et les Pensées de Pascal. Il a marqué en quelques traits heureux le caractère de cette bataille où deux mondes (se sont affrontés, comme jadis aux Champs catalauniques. Enfin il a évoqué le poète heureux qui en fera quelque jour une chanson populaire, une Marseillaise de l’humanité délivrée.

Miracle de la Marne ! Bataille qui n’est déjà plus une bataille ! Symbole de cette lutte où le droit a vaincu la force ! Quand on suit aujourd’hui la route de Sézanne à Fère-Champenoise, on revoit ces lieux sacrés, les marais de Saint-Gond étendant leurs nappes de roseaux, le Mont Aout sur l’horizon, et le pays aux bois de pins, qui ondule, marqué de tombes tricolores. Ces tombes et ces bois sont une terre sainte et nul ne la parcourt sans une émotion religieuse. Loin que le souvenir s’atténue, il se fortifie, et l’événement grandit dans les perspectives du passé, comme une cathédrale dont on s’éloigne. D’année en année, la victoire de septembre 1914 semble plus décisive. La victoire de 1918 ne fait que l’achever. Nous les confondions pendant les heures de cette séance. Tous les héros, tous les triomphes étaient salués à la fois ; les morts ressuscites participaient à cette gloire ; la France, par ses écrivains, acclamait ses soldats.


HENRY BIDOU.