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plutôt la venue de l’âge, comme celle d’un hôte aimable qui devait lui apporter des trésors de sapience, de calme, de tranquille renoncement. Il savait que toute vie humaine est triste puisqu’elle est en proie à l’inquiétude, à l’ennui, et qu’elle aboutit à la mort. Il savait aussi que les plaisirs offerts à l’homme sont décevants, car ils sont pareils à ces grappes dorées, qui croissent sur la lave des volcans, et qui laissent aux lèvres l’amertume de la cendre.

Il habitait sur la place du Marché, au-dessus de la boutique du quincaillier Husson, un bel appartement de quatre pièces, ornées de boiseries anciennes, aux panneaux luisants, où le regard aimait à se promener. La fenêtre de son cabinet de travail encadrait une des visions les plus splendides que la Lorraine puisse offrir aux visiteurs : les tours de Saint-Gengoult, magnifiquement couronnées de trèfles, et dressant leur architecture dans les brumes d’hiver ou dans les aubes radieuses, et, pressés autour d’elles comme les moutons autour du berger, les toits des logis lorrains, ces bons toits de tuile qui fléchissent doucement sous le poids des années.

Tous les jours, il faisait le tour des remparts, ceinture autrefois redoutable, maintenant surannée, dont Vauban ceignit les flancs glorieux de la ville. Des choses cent fois vues paraissaient nouvelles à ses yeux. Une longue contemplation l’arrêtait devant les eaux dormantes de la douve ; des grenouilles sautaient parmi les nénuphars ; le peuple des joncs fins frémissait. Ailleurs des canons, haussant le cou au-dessus des créneaux, semblaient des chiens vigilants, prêts à bondir et à mordre. Par endroits, on apercevait les campagnes environnantes, la rivière lumineuse ou trempée de brumes, glissant sur de longues grèves, les coteaux familiers et les villages éparpillés parmi les vignes.

Surtout il avait plaisir à retrouver les peupliers plantés sur les talus. Ils entouraient la ville d’une sorte de forêt frémissante, avide de cueillir tous les souffles de l’air. Comme ils étaient beaux ! Une force obscure, née de la terre, disposait harmonieusement leur structure, balançait l’équilibre de leurs rameaux et de leur tronc. Le professeur les admirait longuement, quand ils paraissaient s’endormir dans le soir pourpré, alors que la dernière lueur du couchant caressait leurs têtes fines et qu’ils semblaient pleins de rêveries et de murmures.