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REVUE DES DEUX MONDES.

M. Siben, qui renonce aux avantages d’une situation acquise par les plus beaux titres professionnels, au séjour de Paris, au poste élevé qu’il occupait dans la hiérarchie du parquet de la Cour d’appel, pour réorganiser, en Alsace, les services judiciaires, conformément aux principes et aux règles du droit français, sans négliger aucun des intérêts légitimes que peut mettre en cause cette transition où toutes sortes de litiges peuvent multiplier à chaque instant les difficultés. Il sait, mieux que personne, qu’une des causes qui ont le plus contribué à faire aimer la France en Alsace, ce fut l’effort de justice accompli par la magistrature française, lorsque l’équité de nos codes, la régularité de notre procédure, la probité d’une jurisprudence fondée sur le respect des personnes, sur la sauvegarde des biens, sur l’observance des contrats vinrent se substituer aux bizarres caprices et aux iniquités habituelles des tribunaux de l’Empire germanique. Tandis que nous parlons de ce grand sujet, dans le spacieux cabinet du président du Tribunal supérieur d’Alsace-Lorraine une fanfare soudaine retentit au loin et se rapproche… Nous allons à la fenêtre. C’est un de nos régiments d’artillerie de campagne qui passe, venant de Neuf-Brisach. Les batteries attelées se suivent, bien menées, en bel ordre, par les canonniers conducteurs, officiers en tête, sous-officiers et aspirant en serre-file. Les servants, mousqueton au poing, s’alignent sur les caissons. Nos canons de 75 roulent légèrement sur le sable de la route humide des pluies récentes. En passant devant la maison où flotte le fanion du général de Castelnau, les trompettes ont sonné en fanfare. À voir ce défilé d’uniformes bleu horizon, nous avons, une fois de plus, l’impression de la force calme, organisée, confiante, armée pour le droit, qui donne à la France victorieuse un renouveau d’espérance et de foi dans l’avenir. Mon interlocuteur, — un père cruellement éprouvé par la guerre, et dont le cœur a saigné des plus douloureux sacrifices, — regarde avec une tendresse ardente ces jeunes soldats vainqueurs. Puis il me dit :

— Vous écrirez, n’est-ce pas ? que vous avez vu cela des fenêtres du Palais de Justice des Allemands, de leur Oberlandsgericht !

Avec joie…

Gaston Deschamps.