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me disait un jour que toute l’histoire politique de son pays avait été le développement des premiers dissentiments qui s’étaient élevés entre Hamilton et Jefferson. c’est-à-dire entre les partisans de l’extension des pouvoirs fédéraux et les défenseurs des droits souverains des États confédérés. Ces querelles donnèrent d’amers soucis à Washington qui s’efforçait de maintenir ce qu’on appellerait aujourd’hui l’union sacrée. — Au fond, ce conflit n’était pas seulement un conflit entre les personnes : il mettait en opposition deux doctrines qui, toutes deux, étaient relativement fondées en raison : il a duré pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle : il devait aboutir à la guerre de Sécession.

L’abolition de l’esclavage apparaît aujourd’hui comme l’objet principal de ce grand conflit, et cependant à l’origine de la guerre, ceux-là étaient rares qui osaient l’envisager comme prochaine. La question qui avait amené les états du Sud à se séparer de l’Union à la suite de la Caroline du Sud, et à former une nouvelle Confédération, était celle de savoir si l’institution de l’Esclavage, dont tout le monde aux États Unis reconnaissait la constitutionnalité, pourrait s’étendre hors du territoire des États esclavagistes, et le conflit armé surgit du fait que les États du Nord ne reconnurent pas que les droits propres des États pussent aller jusqu’à leur permettre de dénoncer le pacte fédéral. — C’est seulement deux ans après l’ouverture du conflit, en 1862, que Lincoln, donnant aux États rebelles un délai pour se soumettre en acceptant l’inévitable, lança la proclamation d’où est sortie l’émancipation des esclaves ; il rallia à la cause du Nord tout ce qu’il y avait de généreux dans le monde. Il faut remarquer comme Lincoln hésita à prendre cette grande mesure, combien il retarda sa décision, de quelles précautions il l’entoura. C’est ainsi qu’avant lui, Washington se défendait d’avoir eu, au début de la guerre de l’Indépendance, l’idée de la séparation d’avec la mère Patrie. Quels scrupules chez ces grands hommes à porter la main sur les institutions établies dont ils ont ensuite énergiquement poursuivi la chute et dont la ruine fut leur gloire !

Il est dans l’histoire peu de figures aussi pures et aussi originales que celle de Lincoln. On pourrait imaginer un Washington, si les États-Unis n’avaient pas existé : c’est un gentleman, un fils de la vieille Angleterre, dont les idées et les