Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/565

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui nous est une vieille connaissance. Elle n’a qu’un défaut : les moyens qu’elle préconise vont à l’encontre des fins visées. Ces raffinements de cruauté ne font que surexciter le patriotisme, loin de le décourager.

Tel fut bien l’unique résultat obtenu, en ce qui nous concerne, nous Lillois : une exaspération, que vinrent augmenter, si possible, les renseignements bientôt reçus sur les modalités de l’exécution. Je ne les connais point par ouï-dire ; je les tiens directement de quelques-unes parmi les rares privilégiées qui, au bout de vingt jours, obtinrent de revenir au foyer[1]. Les wagons à bestiaux qui emportaient les troupeaux humains, mirent des 24 et 26 heures à accomplir le trajet. Les portes demeuraient fermées, même durant les arrêts. Nulle possibilité de descendre pour satisfaire les besoins naturels. La nuit, pas un lumignon pour éclairer la prison roulante. et femmes, hommes, jeunes filles, — quels hommes parfois et quelles femmes ! — étaient là empilés durant de longues heures. Le lendemain soir, on arrive, harassé, mourant de fatigue. Avant la répartition de cette masse humaine par groupes inégaux, selon les localités, des centaines de personnes, sont empilées le plus souvent dans une salle de ferme, dans une grange où chacun se débrouille comme il peut. Plus d’une jeune fille a préféré s’étendre sur la paille tout habillée, plutôt que de se donner en spectacle, dévêtue, aux femmes de mauvaise vie qui les entourent. Ce n’est pas tout. Il restait à boire la lie du calice. Les autorités allemandes n’avaient-elles pas imaginé, sous prétexte que, dans les embarquements, avait été compris un ramassis de prostituées, de faire passer par les majors à toutes les emmenées indistinctement la visite ! Oui, une visite intime, complète, sans égard pour les pudeurs les plus sacrées, tel est le suprême supplice que les tourmenteurs infligèrent à des jeunes filles, tandis qu’à leurs yeux leurs mères subissaient le même traitement. Les limites concevables de l’infamie avaient été dépassées.

Des officiers mis au courant en ont eu, en maints endroits.

  1. Exactement 44. Elles furent ramenées le 14 mai. Dans ce nombre se trouvaient une dizaine de jeunes filles, en faveur desquelles Mme Georges Lyon s’était adressée au général de Grävenitz, qui lui avait fait répondre que les démarches étaient en bonne voie. Cette réparation partielle, — si petite ! — sera-t-elle renouvelée ? Nous touchons à la fin de mai et nous ne voyons rien venir (28 mai 1916).