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à qui le frais encaustique communiquait une odeur de miel et d’abricot séché, les religieuses erraient à pas de chevreuil dans leur neigeuse église. Leur vêtement de bure, comme leur silencieuse démarche, les apparentait à ces timides animaux des forêts. Elles disposaient les chaises, les lourds chandeliers, les pots de fleurs et les bréviaires dans un ordre rituel et mystérieux, avec une adresse étouffée, immanquable et tendre, mais elles paraissaient néanmoins hésitantes et comme saisies de la crainte de troubler un sommeil auguste, et de faire, par un geste trop accusé, s’écrouler sur elles le poids mystique de l’édifice qu’elles aménageaient en tremblant.

Il est des fleurs qui ne croissent que pour les couvents : fleurs prédestinées qui ont la vocation de l’autel et renoncent aux abeilles pour écouter le léger bourdonnement que fait la voix de l’enfant de chœur. Je n’ai vu ni dans les campagnes, ni dans les jardins observés par moi avec tant d’amour, mais seulement chez les religieuses Clarisses, ces hautes quenouilles de pétales bleus, cierges d’azur vivant qui s’élançaient au pied des statues de sainte Colette et de sainte Claire. Ah ! que ces statues innocentes, violentes, m’étaient chères ! Nobles excès des visages religieux, ascension de l’âme, transports des regards, combien déjà vous me plaisiez ! Si, comme dit Gœthe, le meilleur de l’homme est l’émotion, le tremblement, avec quel respect ne devons-nous point considérer ces créatures frappées de la foudre, saisies et maintenues dans un état de commotion sacrée, et que revêt le déploiement dramatique des plus précieuses facultés de l’être ?

Ainsi, autour d’une humble église de petite ville, située au bord d’un rivage, la vie humaine se déroule. C’est, selon les saisons, l’odeur des foins, des vendanges, du bois scié, du laitage, du fumier même. Les pauvres travaux assidus des paysans, ou bien les amusements frivoles des voyageurs qui assaillent pendant les mois étincelants une petite cité aux belles fontaines, recouvrent de leur tristesse ou de leur légèreté les rues gracieuses et les campagnes. Mais qu’on approche de l’église, qu’on pousse la porte, et voici qu’éclate, immobile et dans le silence, la noble tragédie de, l’amour indompté ! Un autel, un crucifix, du sang, des larmes, un Dieu qui meurt, des visages peints, frappés de la foudre, des yeux élancés, des cœurs qui se rompent sous des mains qui les compriment, c’est une