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la moins vraisemblable : il n’y a point, pour ainsi dire, de transition entre ses vagabondages dans la forêt de Villers-Cotterets ou les heures grises passées à grossoyer dans les études de son chef-lieu de canton, et l’apothéose décernée le 11 février 1829 à son drame de Henri III, en cette salle du Théâtre-Français, toute brillante de toilettes, radieuse de lumières, de parures et de diamants, et dont, ce soir-là, le premier rang du balcon était occupé par une Cour d’altesses, de princes, de maréchaux, de diplomates et de ministres, applaudissant debout et découverts le pauvre garçon descendu tout à l’heure de sa mansarde et qui, le matin de ce triomphe, avait été surpris à découper un col de chemise en papier dont il allait faire le complément de sa toilette. Il y a de ces surprises dans les contes de fées : je n’en vois point de similaires dans notre légende littéraire.

Comment la chose advint, nul ne se risquerait à le relater après lui ; les pages où il conte les préliminaires de cet éclatant début et dont il donna, en 1833, la primeur à la Revue des Deux Mondes, sont parmi les plus charmantes qu’il ait écrites. Elles ont pris place, depuis lors, aux IIIe et 1Ve volumes des Mémoires. Quelle bonne humeur, quel entrain, que d’esprit à ce rappel de son temps de misère ! Avec quelle finesse il nous peint cette vie de bureau qui fut la sienne, alors que, sur la recommandation du général Foy, ancien camarade du général Dumas, il entra comme expéditionnaire dans l’administration de la Maison d’Orléans. Il y a, dans cet alerte récit, des tableaux achevés, animés de silhouettes surprenantes de vie et de vérité : M. le chevalier de Broval, directeur général ; Oudard, le chef de bureau ; Lassagne, le sous-chef ; Ernest, le commis d’ordre ; le petit père Bichet, qui a connu Piron ; et jusqu’à Féresse, le méchant gardien de bureau. Parmi ces fonctionnaires hautains, indifférents ou hostiles, l’humble expéditionnaire vécut, durant quatre années, copiant sans relâche des rapports qu’il ne lisait point, taillant des enveloppes et apposant des cachets, un peu bafoué par ses collègues, lesquels, professant le culte de la hiérarchie et ne caressant d’autre rêve que celui de « l’avancement, » prenaient en pitié ce pauvre hère, tout frais sorti de son village qui compromettait son avenir à rimer des vers de tragédie et dissimulait mal son mépris pour la monotone besogne du bureau. De tout temps, en toute administration,