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est un bureau de bienfaisance dont la porte est ouverte à deux battants. »

Bien vite, en effet, le Mousquetaire devient le Moniteur de la philanthropie : pas de semaine où il ne contienne un appel à la bienfaisance au profit de quelque œuvre de charité. Dumas se fait mendiant pour les orphelins, pour les jeunes artistes que réclame la conscription, pour des veuves de pêcheurs naufragés. Un jour, il est allé visiter l’asile que l’abbé Moret, assisté de quatre religieuses, a fondé dans un faubourg pour des fillettes infirmes : le téméraire ecclésiastique n’a compté que sur l’aumône et les ressources font souvent défaut. En sortant de l’hospice, Dumas pleure d’admiration et de pitié : il maudit sa prodigalité et son étourderie qui lui interdisent aujourd’hui de remplir d’or la caisse vide du pauvre abbé. Il va, de là, diner avec Clésinger, au Moulin Rouge, — un cabaret d’artistes situé dans l’avenue de la Grande-Armée ; — mais avant de se mettre à table, il parcourt la salle du restaurant, la main tendue, et, transformé en frère quêteur : « Pour les filles incurables, s’il vous plait ! » récolte quatre-vingt-dix francs. Il se trouva, bien entendu, des railleurs pour traiter ce geste de « parade, » et on continua à ricaner quand le Mousquetaire ouvrit, dès le lendemain, une souscription au profit de l’œuvre des Sept-Douleurs ; — c’est sous ce vocable que la charitable institution s’abritait. — Dumas laissa les facétieux s’amuser ; les offrandes affluaient ; il se frottait les mains, plus joyeux et plus fier que le soir de la première de Henri III ; il riait, comme les autres, mais d’un bon rire, disant : « Voilà du pain pour mes pauvres filles ! »

Amour de l’étalage, ostentation, besoin de faire parler de soi, d’entretenir sa popularité par une publicité à fracas, insinuaient quelques-uns, — de ceux, comme il en existe en tous les temps, qui ne parviennent pas à comprendre qu’un homme dont la grandeur les offusque et les humilie soit exempt de leurs petitesses. On ne peut nier que l’énorme personnalité de l’auteur des Trois Mousquetaires ne dût paraître à beaucoup singulièrement gênante ; ne pouvant l’égaler, on le jalousait ; on dénigrait sournoisement l’homme encombrant qui, rien qu’en contant ses voyages, ou, — moins encore, — en prenant le public pour confident de sa vie quotidienne, de ses affaires, de ses parties de chasse ou de ses charités, accaparait l’attention et ravissait