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Elle vient, cette sinueuse et fluide mélodie, elle vient de l’un des plus célèbres lieder de M. Fauré : Clair de lune, sur une poésie de Verlaine. Pareillement rêveuse, et nostalgique, et furtive, avec autant de grâce et de mélancolie, elle trace à peu près la même ligne, ou mieux les deux mêmes, car, cette fois encore, le dessin de la voix et celui de l’orchestre (autrefois du piano), tantôt s’effleurent l’un l’autre et tantôt s’entrelacent. Semblable enfin est le mode, et cette couleur antique, et ce charme étrange, fait de rayons et d’ombres, qu’une note altérée, une autre évitée, répand sur le cours égal et changeant de la longue mélodie. Longue, mais de cette longueur de grâce dont Chateaubriand a parlé. Longue sans monotonie, et, de période en période, évoluant au lieu de se répéter. Il y a, dans l’œuvre nouvelle de M. Fauré, des parties de chef-d’œuvre et nous y voilà. Cette scène, celles qui suivent, jusqu’à la fin du premier acte sont d’une pure et profonde beauté. Parlant un jour de la vieille musique française, Henri Heine y trouvait « même de la poésie. Oui, cette dernière n’est pas absente, mais c’est une poésie sans le frisson de l’infini, sans charme mystérieux... sans morbidezza, je dirais presque une poésie jouissant d’une bonne santé. » A la moderne, très moderne musique d’un Fauré, la morbidezza même est loin de manquer. Entendons-nous seulement sur le mot italien. Morbidezza ne signifie ou n’implique rien de maladif, de malsain moins encore, mais quelque chose de moelleux, et de souple, quelque chose qui prête et qui ploie. Quanta la poésie, quant au mystère, Pénélope en est tout imprégnée. Un tel art exprime et signifie beaucoup. Il suggère encore davantage. Nulle part il n’insiste et n’appuie. Il ne nous dit pas tout. Il garde plus d’un secret et par certains côtés il reste le dieu inconnu. Écoutez, puis lisez et relisez les dialogues de Pénélope et d’Ulysse. Quelle réserve ! Que de réticences ! Il y a là des mélodies et des accords, des accents, contenus ou retenus, dont vous ressentirez obscurément le vague sortilège. Il vous semblera que la musique vient à vous de très loin et qu’en vous elle va plus loin encore. Elle donne beaucoup à penser, à sentir, et plus encore à rêver peut-être. Mystérieuse, c’est l’un des mots où , quand on parle d’elle, on ne saurait trop revenir. Le mode, le ton, la mélodie et même l’orchestre, tout est étrange en certaine leçon, j’allais dire homélie, de Pénélope aux prétendants, sur les devoirs de l’hospitalité et sur l’éminente, — peut-être divine, — dignité des pauvres, des vagabonds, dont les dehors misérables peuvent cacher la personne des dieux. Plus loin, mystère encore, toujours, la