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politique, il se tourne tantôt à droite, tantôt à gauche, pour ne laisser aucun adversaire qui n’ait été touché de ses arguments ; et jusque derrière lui, il s’en va chercher l’opposition sur la tête immobile de M. Poincaré.

Il a fait d’ailleurs un excellent discours, d’un bon style, sobre et plein, exact et bien composé. Il avait à louer un fonctionnaire exact et consciencieux, un écrivain qui a été surtout un chroniqueur, enfin un homme d’un commerce charmant, d’une conversation spirituelle, dont la vie a été unie et bien faite. Il a rappelé le mot de Montaigne : « Les plus belles vies sont, à mon gré, celles qui se rangent au modèle commun et humain, avec ordre, mais sans miracle, sans extravagance. » Ce manque d’extravagance, louable chez un directeur des Beaux-Arts, rendait la matière difficile. Car enfin, ce qui fait le piquant d’un éloge, ce sont les défauts de celui qu’on loue, ou du moins ses singularités. On fait un discours sur un hurluberlu ; mais on reconnaît un honnête homme à ce qu’il suffit d’une ligne d’épitaphe pour le peindre. Cette ligne, M. Barthou l’a écrite : « Ce fut, dit-il de son prédécesseur, un administrateur ordonné, méthodique et d’une conscience scrupuleuse, dont la volonté réussit à l’aire aboutir des réformes que depuis M. de Chennevières on avait vainement tentées. « Il a dit encore : « M. Henry Roujon sut parfaitement organiser sa vie qu’il partagea entre ses fonctions de secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, ses occupations littéraires, et sa famille. »

Ayant ainsi épuisé le fond de son sujet, ii restait à M. Barthou à orner son éloge de quelques-uns de ces agréments que ce genre autorise, et que le public attend surtout : une digression, une réflexion, une dissertation, un récit. D’un pas glissant et d’un mouvement insensible, on quitte le mort quelques instants ; on s’en va causer philosophie à l’ombre de ses lauriers ; on lui revient plus léger, après cette distraction. M. Barthou a illustré son discours de quatre de ces épisodes divertissants. Il a fait d’abord un joli tableau où l’aïeul et le père de Roujon étaient peints, et où lui-même paraissait enfant. Un vivant semble un peu ridicule quand, tout chenu qu’il est, on l’évêque petit garçon ; mais le mort reconquiert le droit de revivre tous les âges de sa vie. La plupart des discours académiques commencent par quelque touchant tableau de famille, et les grâces de l’enfance parent ces solennités de l’âge mûr. Au surplus, en évoquant l’adolescence de Roujon, M. Barthou a fait une réflexion dont l’ironie sans méchanceté a fait sourire. Roujon, à la fin de sa vie, a peint ses années de collège comme le temps d’une affreuse