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Le Roi refusa, en 1704, de sanctionner son élection. Revenant alors à M. Barthou : « Votre élection, monsieur, a continué le directeur de l’Académie, a eu l’agrément de M. le président de la République. » A ces mots, M. Poincaré a souri, M. Barthou a ri, et l’auditoire a applaudi. Par la mésaventure de M. de Troisville, M. Barthou se trouve le premier Béarnais qui ait été reçu dans la compagnie. M. Donnay l’a montré premier en toutes choses, lauréat à tous les concours, le plus jeune conseiller municipal, le plus jeune député et neuf fois ministre. Il a fait de cette carrière brillante un tableau brillant, et il a décrit ce succès continu avec une amitié émerveillée.

Il a montré ensuite M. Barthou bibliophile, et il en est venu au point où tout le monde l’attendait, c’est-à-dire à ces études qui ont fait tant de bruit, sur l’intimité de Victor Hugo. Dans ce débat, où l’on a tant parlé, il a dit une chose neuve et vraie, parce qu’il a parlé en moraliste, et qui connaît le cœur. M. Barthou avait montré comme il faut peu se lier aux Mémoires ; M. Donnay a montré comme il faut peu se lier aux lettres. Deux amants peuvent échanger les correspondances les plus audacieuses, et n’avoir d’autre audace. Toute leur passion est pour s’écrire ; et ils deviennent retenus quand ils se voient. D’autres, qui ne s’écrivent qu’avec la dernière correction, prennent, une fois les portes fermées, des libertés que leurs lettres ne font pas soupçonner. Et voilà comment les hommes de théâtre donnent parfois des leçons aux historiens.

Revenant alors aux travaux politiques de M. Barthou, M. Donnay a loué son Mirabeau, son Lamartine ; et il a enfin salué l’orateur de cette loi de trois ans, qui restera un des plus beaux titres du nouvel académicien. Ainsi le discours est revenu à cette guerre, où il faut bien que tout aboutisse. M. Donnay a peint avec force cette Allemagne qui la préparait, tandis que son empereur faisait aux yeux des naïfs figure de Lohengrin. Ce n’était pas Lohengrin, c’était Ysengrin, le loup du roman. Il y a des à peu près qui sont de l’histoire. Ce tableau d’histoire nous ramenait aux graves pensées, aux souvenirs douloureux, à ce fils, engagé volontaire, tombé à dix-huit ans en Alsace, et dont la gloire a été associée à la gloire paternelle. En Lamartine même, M. Donnay, par un artifice vraisemblable, a voulu concilier l’auteur de la Marseillaise de la paix avec le patriote. Il a assuré qu’en 1914, Lamartine eût été l’orateur de la loi de trois ans : c’était faire le plus bel éloge de M. Barthou.


HENRY BIDOU.