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Lamennais, en 1830, qu’on avait retrouvé, parmi les papiers du défunt pape, la désignation de leur ami au cardinalat : parlait-elle à la légère, ou en connaissance de cause ? Le fait doit pouvoir être vérifié. Et, en attendant, on peut suspendre son jugement ; mais on peut croire aussi que l’opinion courante n’est pas aussi dénuée de vraisemblance que veut bien le dire le P. Dudon.

Deux choses ressortent avec une pleine évidence du livre de ce dernier. La première est qu’entre l’encyclique Mirari vos et l’encyclique Singulari nos l’attitude de Rome à l’égard de Lamennais a été parfaite ; et la seconde, — le P. Dudon aurait pu insister bien davantage sur ce point, — que le clergé français, par ses dénonciations, ses exigences, ses suspicions, ses plaintes, ses appels constants à l’autorité pontificale et la pression qu’il a exercée sur le Saint-Siège, a tout, ou presque tout fait pour exaspérer Lamennais et le rejeter hors de l’Eglise. Mais, pour bien comprendre la suite des événements, il faut reprendre les choses d’un peu plus haut.

Poursuivant son rêve de théocratie populaire, Lamennais, avec générosité, avec hardiesse, mais avec violence et avec une témérité singulière, avait déclaré la guerre aux rois et dressé, dans l’Avenir, la charte du droit nouveau. Il fallait toute sa naïveté, toute son inexpérience théologique et diplomatique, tout son dédain et son ignorance des contingences historiques, — tout son orgueil aussi de prophète plébéien, — pour s’imaginer que Rome, en 1830, pouvait et devait le suivre dans cette voie. Entre l’idéal révolutionnaire dont, à son insu, relevait Lamennais, et la tradition constante d’une Eglise fortement hiérarchisée, fondée sur l’autorité, et dont l’action, toute religieuse et morale, s’exerce dans les cadres respectés d’une société régulièrement constituée, il y avait une opposition secrète qui ne pouvait manquer d’éclater bientôt au grand jour. On le fit bien voir au fougueux tribun ! Traqué, honni, dénoncé sans relâche par toute une partie du clergé français, persécuté, comme il était naturel, par le gouvernement de Juillet, il se décida à suspendre l’Avenir, et à en appeler directement à Rome. On a souvent dit que c’était là une imprudence, et une imprudence bien française ; que Rome, dans les questions délicates et controversées, n’aime pas à intervenir ; qu’elle hésite à décourager les initiatives individuelles ; et