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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 52.djvu/129

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La lutte entre M. Stolypine et ses adversaires fut très vive ; les réactionnaires, renonçant à obtenir le renvoi du premier ministre, exigeaient à grands cris l’adoption de mesures d’une extrême rigueur contre les terroristes : arguant de l’insuffisance et des lenteurs de la justice régulière, ils insistaient pour que la police fût investie du droit d’exécuter les criminels sans autre forme de procès et sur la simple constatation du crime. M. Stolypine s’opposait énergiquement à une pareille procédure, dont l’effet aurait été de créer dans l’Empire un état de complète anarchie. Ce point de vue, M. Stolypine devait le défendre même contre quelques-uns des membres de son Cabinet, comme MM. Schvanebach et Schéglovitoff, appuyés par les ministres de la Guerre et de la Marine ; d’autre part, la situation créée par les attentats terroristes s’aggravait de jour en jour et exigeait de la part du gouvernement des mesures exceptionnelles. C’est pour trancher ce débat que M. Stolypine fit signer par l’Empereur un décret instituant, dans les régions placées sous le régime de la loi martiale (ce qui était le cas, à cette époque, pour la capitale et pour la plupart des provinces de l’Empire), des conseils de guerre à l’effet de connaître des crimes commis dans ces régions. On a beaucoup reproché à M. Stolypine la création de ces tribunaux copiés sur les « Feldkriegsgerichte » autrichiens ; mais il faut se rappeler en présence de quelles exigences il se trouvait. Ce qu’on lui demandait, c’était la suppression de toute procédure légale et la délégation à la police d’une espèce de droit de lynchage. Si de toute évidence, la justice des nouveaux tribunaux était de nature sommaire, c’était tout de même une justice ; et, en instituant ces tribunaux, M. Stolypine coupait court aux tentatives du parti réactionnaire qui voulait opposer à la terreur rouge une terreur blanche.

C’est au milieu de l’extrême agitation créée par les événements que je viens de décrire et dans une atmosphère politique surchauffée par les passions des partis, que M. Stolypine dut aborder l’élaboration des réformes qu’il s’était engagé à soumettre au bout de six mois à la Douma. Le Cabinet venait d’être complété par la nomination au poste de ministre du Commerce de M. Filosofoff, homme éclairé et à vues libérales ; toutefois il contenait encore des éléments hétérogènes ; aussi M. Stolypine était-il obligé de surveiller et de diriger atten-