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Lionne paye neuf cent mille livres au vieux et au jeune Brienne, au titulaire et au survivancier, moyennant quoi il est secrétaire d’État pour les affaires étrangères. Quel effondrement d’une fortune extraordinaire ! Au bout d’une demi-année, la jeune Mme de Brienne mourait de chagrin. Le jeune Brienne se retirait à l’oratoire.

Qu’y a-t-il eu ? Quelle est la faute que le roi punit d’une manière si rude ? Voilà ce que Brienne, pourtant sincère, ne dit pas : c’est qu’il n’avait pas envie de le dire ; en outre, il a bien l’air de ne l’avoir pas su très nettement. Il a bien l’air de se demander, avec une angoisse que le temps n’a point relâchée, comment il a pu offenser à tel point le roi. Il cherche dans sa mémoire un peu vieillie et fatiguée ; il y retrouve une anecdote qui soudain lui donne à rêver. La Cour était à Fontainebleau. Le roi commençait de s’attacher à La Vallière : et le jeune Brienne la trouva gentille. Le jeune Brienne lui disait toujours « quelque douceur, en passant. » Un jour, le roi venait chez Madame et rencontra, dans l’antichambre de Madame, le jeune Brienne et La Vallière, tous les deux. Il leur demanda ce qu’ils faisaient ensemble. Et, somme toute, ils ne faisaient rien : le jeune Brienne offrait à La Vallière de la faire peindre en Madeleine. Elle rougit Le roi se tut et s’éloigna. Dans la soirée, le jeune Brienne vit le roi et La Vallière causer et sut qu’il n’aurait pas dû, lui, causer avec La Vallière. Le roi, s’adressant à lui, blâma le projet de la faire peindre en Madeleine : elle était trop jeune, vraiment, pour une pénitente ! elle n’était pas Madeleine, mais Diane !.. Le lendemain matin, le roi prit le jeune Brienne à part, entra dans le cabinet de Théagène et Chariclée avec lui, ferma le verrou et dit à brûle-pourpoint, comme un homme qui veut tout savoir et sur l’heure : « L’aimez-vous, Brienne ? » S’il aimait qui ? Le Ion du roi ne permettait pas qu’on feignit de n’en rien savoir. Brienne, plus de vingt ans après, se loue encore de la réponse qu’il a faite « avec une présence d’esprit admirable. » Il répondit : « Non, Sire, pas tout à fait ! Mais je vous avoue que j’ai beaucoup de penchant pour elle. — Ah ! vous l’aimez ! Pourquoi mentez-vous ? — Sire, je n’ai jamais menti à Votre Majesté. J’aurais pu l’aimer ; mais je ne l’aime pas assez, quoiqu’elle me plaise, pour dire que j’en suis amoureux. — C’est assez, et je vous crois. » Il fallait en rester là ; mais le jeune Brienne est si content de son adresse qu’il insiste et ne dissimule pas au roi qu’il devine l’amour du roi : et il pleure. Le roi s’en aperçoit et, bonnement, reprend : « À quoi bon pleurer ? L’amour t’a trahi, mon pauvre Brienne ! » Mais Brienne : « Je pleure de tendresse pour vous